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LE CONNÉTABLE DU GUESCLIN.

partir pour l’Espagne le maréchal d’Andreham, le vieux compagnon d’armes de Bertrand. Il avait mission de lui apprendre les intentions de son maître, et lui portait l’ordre de repasser au plus vite les Pyrénées, en rassemblant, tant en France qu’en Espagne, toutes les forces qu’il pourrait organiser pour le service de la couronne.

On peut admettre sans difficulté, avec tous les biographes de ce grand homme, l’émotion profonde qu’il ressentit en se voyant soudainement appelé à la plus éminente des dignités du royaume, à l’exclusion de tant de princes et de seigneurs que cette charge allait placer sous ses ordres. On peut croire, sans rien prêter à sa modestie, qu’il éprouva et des hésitations et des craintes en atteignant le sommet d’une fortune sans exemple avant lui. Mais le maréchal d’Andreham lui garantissant l’adhésion unanime de la chevalerie du royaume au choix que le roi venait de faire de sa personne, Du Guesclin promit d’accepter l’épée de connétable, et ne subordonna sa résolution qu’à une seule condition, par laquelle il se révèle tout entier. Il exigea l’engagement formel d’une solde déterminée, à payer périodiquement à son armée, afin d’être en mesure d’y maintenir l’autorité du commandement. Il pressentait sans doute, en faisant une telle stipulation, les difficultés qui lui seraient bientôt suscitées, même par les conseillers les plus éclairés du roi Charles ; il devançait l’heure de ses amers démêlés avec Bureau de La Rivière, qui ne comprenait pas qu’une armée ne se suffit pas à elle-même, comme au temps passé, et qu’il fallût vider pour elle le trésor royal, alors si pauvre.

Pleinement rassuré par le maréchal d’Andreham sur les intentions du roi et sur le parfait accord de leurs pensées, Du Guesclin se mit en route, et, après avoir passé les monts, il entra dans le pays de Foix, dont le comte était resté sujet fidèle de la France. Sa marche, depuis le pied des Pyrénées, fut une série de combats acharnés, car il rencontrait à chaque pas des forteresses anglaises à travers son chemin, et des corps isolés de l’armée du prince de Galles, qu’il fallait écraser en passant. Mais ses forces grossissaient à mesure qu’il s’avançait sur cette terre de France, que commençait enfin à remuer le souffle puissant de l’indépendance. C’était chaque jour un assaut, une surprise, un combat corps à corps, une de ces grandes appertises d’armes que nous déroule Froissard dans l’ampleur de son style héroïque. À travers le Languedoc, le Périgord et le Limousin, le cri de Notre Dame Guesclin ! volait d’écho en écho comme l’aigle impériale de