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LE CONNÉTABLE DU GUESCLIN.

qu’après le traité de Guérande et la négociation de sa rançon, acquittée des deniers du roi de France, Du Guesclin songea sérieusement à réaliser le rêve de ses premières années, et nous croyons sans peine qu’il trouva dans ses compagnons d’armes un concours et un dévouement chaleureux à la même pensée ; mais nous n’oserions ajouter, avec M. de Fréminville, qu’il était poussé vers les lieux saints par des devoirs plus étroits et des liens mystérieux, dont cet écrivain se croit en mesure de révéler le secret, enseveli jusqu’à lui dans une nuit profonde.

Du Guesclin a-t-il réellement porté le titre de grand-maître de l’ordre du Temple ? C’est là un problème que ne tranche pas à nos yeux la charte de transmission publiée par M. de Fréminville. Nous ne contestons pas l’existence d’une charte originelle, et nous accordons volontiers que Jacques de Molay, prévoyant l’issue funeste du procès où il était impliqué, ait fait tenir à Larménius, patriarche d’Orient, les archives secrètes de l’ordre du Temple, monument précieux dont les fragmens mutilés ont pu parvenir jusqu’à nous. Personne n’ignore que, si un grand nombre de templiers mourut sur les bûchers allumés par Philippe-le-Bel, la protection de Jeanne de Navarre, celle des rois d’Écosse et de Portugal, en dérobèrent beaucoup à la persécution, et que l’ordre se maintint en France même à l’état d’association secrète. Mais cette association a-t-elle joui d’une existence régulière et non interrompue depuis le commencement du xive siècle jusqu’à nos jours, et son histoire secrète, commencée en 1313, au pied du bûcher de l’infortuné grand-maître, peut-elle être conduite jour par jour, à l’aide de documens authentiques, jusqu’au pied de l’échafaud du duc de Cossé-Brissac, le dernier de ses chefs légitimement institué ? C’est là une question qui n’est nullement éclaircie à nos yeux par le titre cité. La succession des grands-maîtres y est très régulièrement inscrite, il est vrai, et cette régularité même semble pouvoir justifier certains doutes, bien loin de les lever entièrement. Bertrand Du Guesclin y est porté pour l’acceptation du magistère suprême entre Jean de Clermont, qui y aurait été appelé en 1349, et Jean III d’Armagnac, qui aurait succédé au connétable en 1381. Celui-ci aurait signé de son nom le titre représenté en 1357.

Il est difficile d’admettre que la haute direction d’un ordre proscrit et surveillé pût être confiée à un jeune homme de vingt-sept ans, qui à cette date citée de 1357 n’était pas encore connu hors des limites de la Bretagne, où il préludait alors à sa renommée. Cette objection