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LE CONNÉTABLE DU GUESCLIN.

Quant au commencement que je sui roi sacrez
M’avez fait tel honnour, vous en soiez loez ;
Quant je suis au jour d’hui tellement estrinez.
Ha ! Bertrand Du Guesclin, tant ce brassé m’avez,
Tant vivre me laist Dieux, qui en croix fu penez
Que li fait vous en soit encore guerredonné.

Après le service signalé que le chevalier breton venait de rendre à la France, sa position fut complètement changée. Créé maréchal de Normandie, seigneur de Pontorson et comte de Longueville, il devenait le pair de ces seigneurs à la tête desquels il marcherait un jour. Ainsi tombaient devant ce général de fortune les barrières de cette société si difficile à entamer dans son immuable hiérarchie ; ainsi ce glorieux parvenu s’emparait de son avenir.

La guerre était à peine terminée en Normandie, que Du Guesclin était envoyé en Bretagne à la tête des auxiliaires français qui défendaient dans cette province la cause de Charles de Blois et de la France contre Chandos et la fleur de la chevalerie anglaise. En y observant les mouvemens du nouveau comte de Longueville, on voit, même sans être homme du métier, combien sa manière de comprendre la guerre contrastait avec les habitudes et le tempérament de la chevalerie de son temps. Le premier il essaie l’artillerie à feu, dont il pressent la destinée, et il range quelques méchans canons en batterie devant les murs d’un château, sous la risée de l’ennemi, qui vient essuyer avec une serviette blanche les taches que laissent aux murailles quelques boulets mal dirigés. On le voit dresser des camps retranchés, fortifier des redoutes, et tenter partout de substituer à la bravoure personnelle l’action d’une stratégie devant laquelle les forces individuelles allaient s’éclipser de plus en plus. À la bataille d’Auray, livrée contrairement à ses conseils et à ses indications, Du Guesclin, accablé par le nombre, paya de sa liberté des fautes dont il n’était pas comptable, et qui coûtèrent la vie au malheureux Charles.

Ainsi finit par le triomphe de l’Angleterre cette lutte entre deux influences étrangères également menaçantes pour la nationalité armoricaine, lutte à laquelle la Bretagne assistait depuis si long-temps, indifférente et décimée. Le traité de Guérande assura la couronne ducale au gendre d’Édouard, et Charles V, avec son habileté ordinaire, parut se résigner à cet échec et sut composer avec la fortune, en attendant le jour prochain où les fautes du nouveau duc lui permettraient de faire appel aux vieux instincts de cette province.

Cette mission était réservée à Du Guesclin. Mais avant de l’entre-