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Dans les premiers chapitres de son livre, M. de Fréminville anticipe un peu trop sur la renommée de son héros : celle-ci s’établit lentement comme toutes les choses fortes et durables. Ce fut donc à Melun que la France conquit le guerrier dont la renommée n’était pas encore faite, et qui devait un jour relever l’honneur de ses armes et le patriotisme de ses populations accablées. Le duc de Normandie était à peine parvenu à la couronne par la mort de son père, qu’il appliqua avec bonheur la grande science des rois. Il se souvint du chevalier breton qu’il avait vu combattre sous ses yeux quatre années auparavant, et qui continuait depuis cette époque à guerroyer contre les Navarrois à la tête de quelques routiers bretons. À peine élevé à un commandement de quelque importance, Du Guesclin se révéla tout entier : il surprit Mantes, s’empara de Meulan par une de ces ruses de guerre qu’il éleva bientôt à la hauteur d’une savante tactique. En peu de mois, le cours de la Seine fut libre, et Paris put se nourrir et respirer. Cette grande œuvre accomplie, le nouveau général commença contre la nombreuse armée anglo-navarroise, qui occupait cette province, cette savante campagne de Normandie, qui respire quelque chose de ce génie moderne de la grande guerre qu’avait deviné Du Guesclin. Pour la première fois, les Français apprirent à refréner leur bouillant courage ; ils simulèrent des retraites, et surent se préparer au combat par des évolutions et des manœuvres compliquées, sans se laisser détourner du but par les provocations et les insultes de l’ennemi. Crécy et Poitiers avaient enfin dompté cette fière noblesse et ces communes désordonnées. Elles commençaient à subir le joug de la discipline et du commandement ; la force matérielle fléchissait sous la puissance de la pensée, et la glorieuse victoire de Cocherel venait apprendre à la France que les désastres du passé profiteraient bientôt à l’avenir.

Charles V était à Reims, se préparant à la solennité de son sacre, lorsque des nouvelles lui arrivèrent de la bataille de Cocherel, de la soumission de la Normandie et de la prise du captal de Buch, ce formidable champion de l’Angleterre. Il est beau d’entendre le jeune monarque épancher son ame en cantiques d’allégresse au pied même de l’autel où il va recevoir le sacrement de la royauté. Tout ce morceau du poème de Cuvelier est d’une simplicité touchante et heureuse :

Et quant ly roy l’oy, si va Dieu graciant,
Et dit : Beau sire Dieux, je vous vois merciant,
Que ceste courtoisie m’avez faite si grant ;