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LE CONNÉTABLE DU GUESCLIN.

pas à s’emparer au besoin de l’argenterie de Lamothe-Broons et de l’écrin de sa mère, après avoir fait vœu, s’il faut en croire son bienveillant chroniqueur, de lui en restituer un jour la valeur au centuple, engagement dont la bonne dame paraissait douter un peu. À cette époque de sa vie se rapportent le combat en champ-clos avec Bramborough, la rencontre avec Thomas de Cantorbéry, les siéges de Rennes et de Dinan aux surprises nocturnes, aux incidens pittoresques, et tous ces actes d’audace et de sang-froid par lesquels il se trempait pour son grand rôle.

La première période de cette guerre close par une amnistie, Bertrand ne put supporter le repos dont il avait perdu l’habitude ; il se jeta à la tête d’une petite troupe en Normandie, où le roi de Navarre, soutenu par Édouard, faisait une rude guerre au régent de France, durant la captivité du roi son père. Froissard nous le montre assistant en volontaire au siége de Melun, dont il contribue à décider la prise après deux assauts meurtriers. Cuvelier le représente escaladant la muraille, d’où le précipite une pierre tombée sur son crâne de Breton sans le briser : on le couche dans du fumier chaud, et, guéri par ce bain de vapeur, il apparaît le lendemain le premier sur la brèche.

Ici commencent les premières relations de Du Guesclin avec le prince, à la vie duquel sa vie allait s’identifier si étroitement. C’est à ce moment seulement qu’il faut rapporter son entrée au service de France. Nous ne voyons pas trop sur quoi M. de Fréminville a pu se fonder pour établir qu’il fut solennellement appelé à Paris après le siége de Dinan, à la suite d’une longue négociation et par lettre du roi Jean, qui, durant sa captivité en Angleterre, aurait entendu parler de ses exploits. La chronique contemporaine constate que ce fut sur la brèche même de Melun que le dauphin remarqua pour la première fois le hardi aventurier breton, et jugea de quelle utilité un si bon chevalier pouvait être pour sa cause. Avant 1359, date du siége de cette ville, Du Guesclin n’était pas encore un personnage assez important pour que le roi de France estimât nécessaire de traiter avec lui et d’accepter ses conditions. « En ce temps, dit Froissard avec plus de vraisemblance que l’écrivain moderne, s’armoit un chevalier de Bretaigne qui s’appeloit messire Bertrand Du Guesclin. Le bien de lui ni sa prouesse n’estoient mie grandement renommés ni connues, fors entre les chevaliers qui le hantoient au pays de Bretaigne, où il avoit demeuré et tenu la guerre pour monseigneur Charles de Blois contre le comte de Montfort. »