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REVUE DES DEUX MONDES.

Que on me face ardoir en un feu justement,
Si cilz enfès ne vient à honneur grandement.
Il n’ara son parail en tout le firmament,
Et li plus honnerez et prisiez grandement
De tous ceux du royaume de France vraiement.
Lors s’apaisa la mère a cestui parlement,
Et depuis tint l’enfant plus honnerablement.

Né en 1320, le jeune Bertrand fut long-temps à se préparer à son œuvre. Il grandit lentement, au milieu des obstacles que lui opposait la constitution d’une société qui faisait de tous les grands commandemens militaires l’accessoire obligé des hautes situations féodales. C’est une chose sans exemple et qui s’explique à peine dans le cours du xive siècle, que la fortune de ce pauvre gentilhomme d’une province reculée appelé à la cour de France pour y commander les armées, et voir les princes du sang et les seigneurs s’incliner sans murmure sous son épée de connétable.

Il est curieux de suivre les phases diverses de cette vie qui s’élève à coups de lance depuis la surprise du château de Fougeray où Bertrand s’introduit, sous un déguisement de bûcheron, à la tête de quelques hardis coquins qui le choisissent pour capitaine, jusqu’à la conquête de l’Auvergne et de la Guyenne, la restauration de Henri de Transtamarre en Espagne, l’expulsion des Anglais, et la pacification de la France. La première période de cette existence est d’un charme incomparable. On dirait une sorte de chouannerie à cheval où la lance tient lieu de la carabine, où l’adresse est plus nécessaire encore que le courage, où l’aventurier se montre plus que le capitaine.

Alors commençait en Bretagne cette longue guerre de la succession ducale entre Charles de Châtillon et Jean de Montfort, question qui touchait moins la vieille Armorique, restée incertaine et partagée, que la France et l’Angleterre, dont la suprématie s’agitait dans cette province comme dans le reste du royaume. Bertrand, issu d’une vieille, mais pauvre maison, n’était pas un seigneur assez qualifié pour jouer un rôle important dans une telle querelle. Cependant il sentait trop sa force et son génie pour se borner à figurer dans la montre de son suzerain, monté sur un roussin, armé de sa lance, et suivi des deux archers que tout gentilhomme tenant terre à fief devait à son seigneur. Il se fit donc partisan, vécut plusieurs années comme il plut à Dieu, dans les ajoncs et les halliers, détroussant de préférence les partisans de Montfort et de l’Anglais, mais n’hésitant