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long-temps dessinées et décrites, et nul n’a fouillé plus obstinément au pied de ces menhirs druidiques, mystérieux monumens semblables aux débris de ces créations antérieures à l’aide desquelles la science contemporaine s’efforce de reconstruire un monde abîmé sous un cataclysme. Aujourd’hui le laborieux archéologue s’est proposé une plus rude tâche. Il n’écrit plus en courant, le bâton de voyageur à la main, quelques feuillets de chronique locale ; c’est l’histoire même de la Bretagne et la nationalité bretonne tout entière qu’il a entrepris de résumer dans sa personnification sinon la plus vraie, du moins la plus éclatante. Nous comprenons que cette tentation lui soit venue. Lorsqu’on parcourt en effet cette vieille province, il n’est pas une porte de ville, pas un donjon encore debout, qui, du haut de ses créneaux, ne vous jette le nom de Bertrand Du Guesclin.

La Bretagne est restée comme sillonnée par les traces profondes des pas de l’homme qui, plus que tout autre, avança l’heure de sa ruine et de son absorption au sein de la grande monarchie. Ici, c’est la modeste gentilhommière de la Mothe-Broons, où il naquit camus et noir, malotru et massant, détesté de sa famille et sans connaître les caresses de ses parens :

Qui souvent en leurs cuers alaient désirant
Que fust mors ou noiez en une eaue courant ;

là c’est la chapelle de Montmuran, qui garde le grand souvenir de son initiation à la vie chevaleresque. Entre ces deux points, sur une terre alors couverte de forêts, s’écoula son orageuse jeunesse, au milieu des luttes, des méchancetés et des aventures les plus suspectes. Au-delà de cette zone qui encadre le roman de ses premières années, vous trouvez dans le Morbihan le théâtre de ses combats, lorsque, parvenu à l’âge d’homme, il partageait à Auray la mauvaise fortune de Charles de Blois, ce candidat et cet instrument de la France. Plus loin, à l’extrémité de la péninsule, sur les côtes abruptes du Finistère, il n’est pas un château qu’il n’ait assailli, pas une ville qu’il n’ait forcée, lorsque devenu, trente ans après, le providentiel instrument de la grande unité française, le plus formidable ennemi de l’antique organisation qui succombait sous son génie novateur, il poursuivait au nom du roi le duc de Bretagne, son seigneur, en préparant pour un prochain avenir l’anéantissement politique de sa patrie et l’avènement d’une société nouvelle. Il n’est donc pas, dans cette province, un lieu au-dessus duquel ne plane cette grande mémoire, et rien n’est plus légitime que la tentative essayée par l’auteur des Antiquités de la Bretagne. Si le succès ne répond pas en tous points aux