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vailler, et se présentèrent sur une foule de points à la fois en masses menaçantes. Pendant quinze jours, plusieurs des comtés les plus riches de l’Angleterre furent ainsi livrés presque sans défense à une population furieuse, qui, passant des paroles aux actes, brûla des manufactures, dévasta des maisons, et se livra à toute sorte de désordres. Dans quelques localités, à Preston, par exemple, des soldats, en très petit nombre, furent obligés de faire feu pour se défendre.

Que l’on suppose en France de pareils évènemens, et la plus vive alarme s’emparera des pouvoirs publics. En Angleterre, on s’en occupa sans doute, et l’on fit partir de Londres, par les chemins de fer, quelques soldats et quelques canons ; mais on ne crut pas un instant que l’état fût sérieusement menacé. Bientôt, en effet, tout rentra dans l’ordre, presque de soi-même, et c’est tout au plus aujourd’hui si, comme souvenir de la tempête, il reste à la surface, quelque agitation.

Un tel exemple doit faire réfléchir ceux qui, aux premiers symptômes de malaise, s’imaginent que la société anglaise va être bouleversée de fond en comble, et que les classes ouvrières sont au moment de se ruer sur les classes aisées. Cela peut arriver un jour, et c’est sans doute un état social dangereux que celui où une crise commerciale prive soudainement de tous moyens d’existence une portion notable de la population, mais cette portion de la population, quand elle est déchaînée, n’a point de chefs, point de but, et s’arrête facilement devant quelques habits rouges et quelques canons de fusil. Cette fois, à la vérité, le comité chartiste a essayé de se mettre à sa tête, et le procès qui va commencer montrera jusqu’où avait pénétré l’action de ce comité. Il est pourtant une chose déjà bien constatée, c’est que la grande majorité des ouvriers n’avait et ne voulait avoir avec le comité chartiste aucune espèce de rapports. Obtenir un salaire plus élevé et une condition meilleure, voilà l’unique objet qu’ils se proposassent. C’est ce qui fait qu’au bout d’un temps assez court, lassés eux-mêmes de leur agitation, ils sont rentrés tout doucement dans leurs ateliers.

C’est du passé que j’ai surtout parlé jusqu’ici ; mais la partie historique de ce travail terminée, il reste la partie conjecturale, beaucoup plus délicate et plus difficile. J’essaierai pourtant de préciser aussi exactement que possible la situation actuelle des divers partis en Angleterre, et d’apprécier les chances qui leur sont ouvertes.

Il me reste peu de chose à dire du parti tory. Fraction agricole, fraction orangiste, fraction de la haute église, voilà bien évidemment