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si l’Angleterre a perdu l’Amérique, c’est par trop de condescendance et de bonté. Aussi faut-il voir de quel ton la plupart des journaux tories ont, au début, gourmandé sir Charles Bagot. Comme ils soupçonnent aujourd’hui que sir Robert Peel pourra fort bien l’approuver au lieu de le rappeler, ils commencent à s’adoucir ; mais la blessure n’en est pas moins profonde.

On ne se trompait donc pas l’an dernier quand on pensait que sir Robert Peel serait loin de satisfaire toutes les fractions de son parti. Il était même alors impossible de deviner à quel point il blesserait quelques-unes d’entre elles, et quelle dure loi il leur ferait subir. Cependant, en définitive, malgré bien des douleurs, bien des murmures, le parti tory lui est resté fidèle, et lui a prêté plus de force que n’en avait eu aucun ministre depuis beaucoup d’années. D’où vient cela ? Sir Richard Vyvian l’a dit : le parti tory a peur de voir revenir les whigs, et c’est ce qui fait la force du cabinet actuel. Mais cette force n’est pas la seule, et il y a encore une raison puissante pour que sir Robert Peel, avec ses allures hautaines et impérieuses, triomphe néanmoins de toutes les petites hostilités qui s’agitent contre lui. Cette raison, c’est que son cabinet absorbe tous les hommes vraiment notables du parti tory. Qu’on examine la composition de ce cabinet ; sir Robert Peel, le duc de Wellington, lord Stanley, lord Lyndhurst, lord Aberdeen, sir James Graham, M. Goulburn, lord Ripon, lord Wharncliffe, sir Edward Knatchbull, sir Henri Hardinge ; puis, dans les rangs immédiatement inférieurs, sir Frédéric Pollock, sir William Follett, le vicomte Lowther, sir George Murray, M. Gladstone lui-même, M. Gladstone le jeune espoir du parti de la haute église, M. Gladstone qui, pendant tout le cours de la session, n’a pas donné une marque de sympathie à ses anciens frères, sir Robert Inglis et M. Plumptree. Une seule notabilité du parti a fait retraite, le duc de Buckingham ; mais elle a été aussitôt suppléée par le duc de Buccleugh, très haut placé également dans l’estime des tories. Hors du gouvernement actuel, les tories n’ont donc que des hommes ardens et impossibles comme sir Robert Inglis, ou des hommes éclairés, mais absorbés par une idée unique, comme lord Ashley, l’auteur consciencieux des dernières mesures pour protéger la santé et les mœurs des enfans et des femmes dans les manufactures. Comment donc les tories ne se soumettraient-ils pas à la verge de leur chef ? Dès le lendemain de son avènement, sir Robert Peel leur a dit très nettement qu’il entendait gouverner par ses propres idées, et que le jour où il ne le pourrait plus, il serait