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facturiers. Déjà, pendant la session d’août, M. Bushield Ferrand, nouveau membre de la chambre, s’était produit comme le vengeur en titre du parti agricole, et avait annoncé qu’il prouverait que si le peuple était opprimé, exploité, torturé, c’était par les manufacturiers, non par les propriétaires fonciers. Allant plus loin, et prenant au corps les chefs de l’association contre la loi des céréales (anticorn law association), il les dénonça hautement comme d’impitoyables tyrans qui, pour la plupart, s’étaient enrichis ou s’enrichissaient en écrasant les classes ouvrières. « Je n’accuse point, dit-il, tous les manufacturiers, mais j’accuse beaucoup d’entre eux, notamment les chefs de l’association contre la loi des céréales, de vol et de pillage aux dépens des pauvres ouvriers ; je les accuse de les réduire au désespoir non-seulement en leur donnant des salaires insuffisans, mais en les forçant à acheter chez eux à haut prix des denrées de mauvaise qualité ; j’accuse particulièrement M. Cobden, membre de la chambre pour Stockport, de faire travailler ses ouvriers le jour et la nuit, et de détruire ainsi leur bien-être et leur santé. De plus, tout ce que j’avance, je demande à le prouver. »

On peut juger à quelles scènes violentes de telles paroles donnèrent lieu. M. Ferrand tint pourtant bon, et chaque fois que, dans la discussion des céréales, un whig ou un radical reprochait aux propriétaires fonciers de vouloir affamer le peuple, M. Ferrand était debout, répétant ses accusations contre les manufacturiers, et offrant de produire, ou produisant, au milieu du tumulte, des pièces à l’appui. Que ses reproches fussent souvent injustes, son opinion déraisonnable, son langage injurieux et violent, on ne saurait le nier ; mais il y a dans une telle persévérance quelque chose d’estimable, quelque chose même d’utile. Une enquête ordonnée par le parlement a prouvé d’ailleurs que les abus signalés par M. Ferrand n’étaient pas tous de son invention, et que, sans avoir tous les torts qu’il leur imputait, certains manufacturiers avaient besoin d’être sévèrement redressés.

Quoi qu’il en soit, grace aux whigs et aux radicaux d’une part, et M. Ferrand et aux ultrà-tories de l’autre, les classes pauvres se trouvèrent, pendant ce débat, pourvues de deux sortes de défenseurs, ceux-ci contre l’aristocratie foncière, ceux-là contre l’aristocratie industrielle. Et cependant c’est à ces deux aristocraties qu’appartient presque exclusivement le parlement. Mais telle est la vertu des institutions libres, que, sous leur action bienfaisante, le jeu des partis et les besoins de la lutte donnent de nombreux organes même