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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE TORY.

temps, et la prorogation eut lieu sans qu’il eût dit un mot qui pût faire pressentir ses projets. Le même silence fut gardé du 8 octobre, jour de la prorogation, au 8 février, jour de la reprise de la session, malgré les provocations répétées de la presse. Il est bon d’ajouter que ces provocations produisirent peu d’effet dans le pays, et que la résolution prise par sir Robert Peel, celle de ne rien faire sans y avoir mûrement réfléchi, parut généralement comprise et approuvée.

Pourtant, peu de jours avant la session, un incident eut lieu qui prouva que sir Robert Peel ne voulait pas s’asservir absolument aux préjugés ou aux intérêts des industries privilégiées. Dans le dessein fort naturel de rallier toutes les nuances du parti tory, il avait cru devoir accepter pour collègue le représentant exclusif et passionné de l’intérêt agricole en Angleterre, l’ennemi déclaré de toute idée libérale et de tout progrès, l’idole et le chef avoué des fermiers, des laboureurs et des ultra tories, le duc de Buckingham, connu jadis sous le nom de lord Chandos. C’était en quelque sorte prendre l’engagement tacite de ne toucher à la législation des céréales que pour la sanctionner et la consolider. Or, le 3 février, on apprit que le duc de Buckingham donnait sa démission. D’un autre côté, il est vrai, sir Edward Knatchbull, presque aussi bien placé que le duc de Buckingham dans le cœur des agriculteurs, restait membre du cabinet, et lord March, fils du duc de Richmond, persistait dans son projet de proposer l’adresse. C’est, on s’en souvient, le duc de Richmond qui, votant au mois d’août contre le ministère whig, fit cette déclaration si souvent reproduite que, si sir Robert Peel devenait infidèle au parti agricole, le parti agricole le mettrait à la porte comme lord Melbourne. Puisque le duc de Richmond et sir Édouard Knatchbull maintenaient leur appui au ministère, le parti agricole n’était pas sacrifié tout-à-fait, comme on aurait pu l’induire de la retraite du duc de Buckingham.

D’après tout cela, on peut comprendre avec quelle anxiété le plan ministériel était attendu par tous les partis, et quel silence se fit dans la chambre des communes quand sir Robert Peel se leva pour dire son dernier mot. Après un discours où, malgré le talent de l’orateur, apparut assez clairement l’embarras d’une situation équivoque, il fit connaître enfin l’échelle de droits qui avait effrayé le duc de Buckingham. Voici cette échelle mise en regard de celle qui existait d’après la législation précédente :