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si bénévolement accordé. Mais, d’une part, en demandant que le protocole restât ouvert, M. Guizot lui laissait l’espérance qu’il reviendrait plus tard à son intention primitive ; de l’autre, si M. Guizot se retirait, il était impossible de croire qu’il fût remplacé par un ministre qui convînt mieux à l’Angleterre. Le parti le plus sage était donc de se résigner et d’attendre. Quant à lord Palmerston, dont l’idée fixe depuis trois ans est d’isoler la France, et de former, en dehors d’elle, une coalition européenne, il ne pouvait voir avec beaucoup de chagrin un incident qui servait merveilleusement ses projets, et qui marchait à son but. Par cette double considération, la question du droit de visite tomba donc après quelques paroles échangées, et sans que la position du cabinet en devînt meilleure ou pire.

Depuis quelques jours pourtant, un incident est survenu qui a ravivé la polémique sur cette question et fourni aux whigs une occasion inespérée de faire un peu de bruit. Averti par les plaintes du commerce français, lord Aberdeen, il y a plusieurs mois déjà, crut devoir soumettre aux avocats de la couronne les instructions précédemment données aux croiseurs anglais par lord Palmerston et les actes résultant de ces instructions. Les avocats de la couronne pensèrent qu’instructions et actes étaient également contraires au droit des gens. Lord Aberdeen, comme c’était son devoir le plus rigoureux, écrivit alors aux croiseurs, afin qu’ils évitassent tout ce qui pouvait susciter de justes réclamations. Or, bien qu’elle ne fût point destinée à la publicité, la lettre de lord Aberdeen a été connue, et naturellement la presse française s’en est emparée pour appuyer et justifier l’opinion qu’elle soutient depuis un an. Là-dessus, grande fureur des journaux whigs, surtout du journal de lord Palmerston, qui, en termes assez grossiers, accuse lord Aberdeen d’avoir reculé devant les clameurs insensées de la France, et sacrifié à un vain désir de conciliation le vieil honneur du pavillon anglais. Grande joie d’un autre côté de certaines feuilles françaises, qui sont toutes fières de voir un ministre anglais taxé à son tour de faiblesse et presque de lâcheté. Ajoutez à cela que, les élections en France n’ayant pas tourné comme le pensaient les deux cabinets, tout espoir de ratification a disparu, et qu’un de ces jours sans doute le protocole sera fermé. Ajoutez de plus que, le traité de 1841 définitivement écarté, les traités de 1831 et 1833 se trouvent maintenant en danger, et que M. Guizot lui-même sera peut-être contraint, par l’opinion publique et par la chambre, d’en implorer la modification.