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FEU BRESSIER.

deux êtres beaux et bons pour naître de leur amour, et voici le jour qui va poindre, et il faut que je quitte la terre et la vie !

Mais, comme elle se laissait flotter au hasard dans l’air, elle aperçut une maison qui seule, au milieu de la nuit, était encore pleine de lumière et de mouvement ; du reste ce mouvement allait finir, car des voitures, rangées en longues files, venaient successivement prendre du monde à la porte et se dirigeaient ensuite vers des points opposés. Une troupe de musiciens sortit à pied, emportant les violons dans leurs étuis.

L’ame de feu Bressier reconnut la maison de M. Morsy. Elle saisit au passage quelques mots que disaient, en montant en voiture, les personnes qui sortaient de la maison :

— La mariée était charmante.

— Un peu pâle.

— Cela fait partie du costume.

— Le souper était très beau.

— Oh ! le père Morsy fait bien les choses.

— Comment avez-vous trouvé la robe de la mariée ?

— Euh, euh, euh.

— C’est comme moi, c’était trop riche ; j’aimerais mieux plus de simplicité.

— Dites donc, Alfred, combien êtes-vous censé m’avoir gagné ?

— Un peu plus de 400 francs.

— Diable ! si on y allait pour de bon ! Vous avez eu là une merveilleuse invention.

— Il faut bien être quelque chose quand on va dans le monde. Nous nous sommes faits gros joueurs.

— Mais, en jouant toujours l’un contre l’autre, nous ne pouvons pas gagner.

— Mais aussi nous ne pouvons pas perdre. Perdez donc 400 francs dans une soirée quand vous avez 1000 francs de revenu par an ! Et puis refuser de jouer, on vous prend pour un grigou ; comme nous faisons, nous avons l’air de jeunes gens riches, gros joueurs et beaux joueurs, car nous perdons avec une admirable impassibilité. C’est une position bien plus honorée, si ce n’est honorable, que celle de danseur, de jeune homme.

— Le marié n’est pas beau.

— Oh ! il est comme tout le monde.

— Pourquoi donc, à tous les mariages, fait-on cette remarque,