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FEU BRESSIER.

le règne de Louis XIV. Ce n’est pas dire que l’auteur des Plaideurs soit Louis XIV.

Quoi qu’il en soit, l’orme brûlé, qui avait paru aux deux pays une magnifique idée, entraîna de nouveaux embarras. Il est vrai que, placé sur la limite des deux états, il servait de prétexte à des discussions ; mais, quand il n’exista plus, les limites se trouvèrent confondues, des empiètemens mutuels amenèrent de nouvelles guerres. Ainsi on trouve dans les annales de Microbourg dès l’année

1647 : Nouvelle guerre avec les Nihilbourgeois relativement à la récolte, indûment faite par eux, d’un demi-boisseau d’orge sur les terres de Microbourg.

Outre les causes politiques, différentes causes que la dignité de l’histoire passe sous silence, mais que la tradition conserve précieusement, entretenaient la mésintelligence entre les deux nations. Les Microbourgeoises avaient la réputation d’avoir la jambe extrêmement bien faite et portaient des jupes fort courtes. Les dames de Nihilbourg, qui au contraire les portaient extrêmement longues, prétendaient ne pas savoir sur quoi était fondée cette réputation, et affirmaient que, si les convenances ne leur imposaient pas des jupes longues, si elles voulaient, comme les femmes de Microbourg, sacrifier la pudeur à une sotte vanité, elles pourraient montrer de quoi rabattre l’orgueil de ces dames, mais qu’il leur paraissait plus honorable pour elles qu’on dît : On ne sait pas comment sont les jambes des dames de Nihilbourg.

Elles ajoutaient que la réputation usurpée par les Microbourgeoises était achetée au prix d’une exhibition impudique, et que cette appréciation faite par le public de choses qui se doivent cacher n’était, aux yeux des personnes sensées, qu’un monument immortel à la honte des femmes de Microbourg, loin qu’elles en dussent le moins du monde tirer vanité.

Plusieurs chansons avaient été faites, dans lesquelles les dames de Nihilbourg accusaient les femmes de Microbourg d’avoir des amans, à quoi celles-ci avaient répondu par des chansons où elles accusaient leurs rivales de n’en avoir pas.

En un mot, les choses s’étaient continuellement envenimées, et à l’époque où l’ame de feu Bressier tomba, avec la pluie, dans la ville de Nihilbourg, les deux états étaient en guerre sérieuse. Plusieurs combats avaient eu lieu, dans lesquels chacun s’était attribué la victoire, mais où la seule chose qu’on pût raisonnablement affirmer