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au sein de cette belle et riche nature, sous les rayons de ce beau soleil qui ne lui avait jamais paru ailleurs ni si chaud ni si pénétrant !

Mon Dieu ! quelle belle et ravissante chose que la jeunesse ! Quelle ruine horrible et à laquelle on ne pense pas, que la perte de ces belles années ! Mon Dieu ! qui donnera aujourd’hui à l’ananas que je mange dans la porcelaine du Japon la saveur des âpres prunelles que je mangeais, il y a quinze ans, à même les haies ! Ô riche jeunesse ! qui donne tant de saveur aux fruits des haies et à l’amour de la première venue ! Ô heureuse jeunesse ! le plus charmant dîner que j’aie fait de ma vie se composait de navets crus dérobés dans les champs !

À quelque temps de là, Paul entendit que la famille Morsy allait dîner à la campagne chez M. Bressier. Ernest annonça que cette maison lui était odieuse, et que d’ailleurs il avait une invitation. Paul ne connaissait pas les Bressier ; mais ce qui le chagrinait le plus, c’était de voir inviter un M. Arnold Redort, jeune homme qu’il avait trouvé installé dans la maison Morsy lorsqu’il avait renouvelé connaissance avec Ernest, et qui paraissait s’occuper beaucoup de Cornélie.

Arnold Redort était un garçon plus qu’à son aise, qui avait pris dans le monde le rôle de bouffon. Quelque esprit, du plus commun il est vrai, donnait parfois à ses charges un peu de nouveau et d’imprévu dont on se laissait amuser volontiers, à l’exception de Paul, qui aurait mieux aimé être scié entre deux planches que de laisser échapper le moindre sourire aux lazzis de son rival.

Seeburg, qui avait pris depuis quelque temps l’habitude de voir Cornélie tous les jours, ne savait comment passer cette journée. Aussi alla-t-il se poster dans les environs de la maison Bressier, d’où il espérait la voir un moment sans être lui-même aperçu ; mais il crut que Mme Morsy avait fixé les yeux de son côté et l’avait vu. Alors il s’était avancé, et, sentant le besoin d’expliquer le hasard qui l’amenait si à propos, il avait prétexté une leçon de musique qu’il donnait une fois par semaine dans une maison de campagne voisine.

C’est à ce moment que nous l’avons vu pour la première fois.

Le soir, il mit soigneusement dans l’eau les branches d’iris qu’il avait conquises. Le lendemain, il alla chez M. Morsy. Au moment d’entrer, il mit dans son chapeau les fleurs qu’il tenait à la main ; il ne voulut pas les donner en entrant, parce que M. Redort était là ; il attendait son départ. Quand il fut parti, il lui sembla qu’il au-