Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/419

Cette page a été validée par deux contributeurs.
415
FEU BRESSIER.

« Une année se passa ainsi ; je conservais le désir de voir Fernand, dont je connaissais tous les tableaux, dont je recherchais les moindres dessins, remarquant toujours, quand je la rencontrais, la personne inconnue, dont le regard indifférent exerçait sur moi une puissance inexprimable lorsque je passais à côté d’elle dans la rue.

« Du reste, je ne sais s’il alla chez ma tante *** ; j’étais brouillée avec elle pour des affaires de la succession de mon mari. Je n’avais plus d’occasions ni de chances pour rencontrer Fernand dans le monde, et je n’y songeai plus.

« Un jour, par une froide matinée de printemps, en ouvrant la fenêtre de l’appartement que j’habite avec ma mère depuis mon veuvage, je vis, se promenant dans le jardin qui dépend d’un autre logement, l’inconnu, qui, suivi d’un jardinier, paraissait lui donner des ordres et agir en maître. Je le reconnus tout de suite ; mais, comme j’avais fait un peu de bruit en ouvrant la croisée et que ses yeux se levaient, je rentrai dans le fond de l’appartement.

« Une femme de mes amies vint me voir, et, tout en causant, nous nous mîmes à la fenêtre.

— À qui est ce jardin ? me dit-elle.

— Hier, dis-je, il n’était à personne ; mais je crois qu’aujourd’hui il est loué : on vient d’y mettre un jardinier.

« À ce moment, l’inconnu sortit d’un bouquet d’arbres, et mon amie me dit :

— Est-ce là le nouveau locataire ?

— Je le pense, répondis-je.

— Eh quoi ! reprit-elle, est-ce que vous ne le connaissez pas ?

— Non, vraiment.

— Mais c’est le peintre Fernand.

— Ah ! dis-je, c’est singulier.

« Puis je m’aperçus que je disais une sottise. En effet, qu’y avait-il là de singulier ?

« Je ne me rappelle pas bien si j’avais affaire dehors ; toujours est-il que je ne tardai pas à m’habiller et à faire demander une voiture. En sortant, je dis à la portière : — Est-ce que M. Fernand va demeurer ici ?

— Oui, madame, dit-elle. Est-ce que madame le connaît ?

« En vérité, je ne sais pourquoi, mais je me sentis rougir.

« Je ne sais pourquoi !… Oh ! si vraiment, je le sais !… N’avons nous pas en nous une sensation qui s’éveille à l’approche d’un évènement important, d’un bonheur et surtout d’un malheur ?