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FEU BRESSIER.

un homme et une femme s’aimant également, qu’elle n’avait pu encore surprendre un baiser qui fût des deux côtés un baiser d’amour. Ainsi Mélanie aimait Louis qui aimait Arolise, et Arolise n’aimait qu’un nom et de l’argent.

Les femmes se servaient de l’amour pour acheter comme avec une monnaie universelle les grandeurs, la pompe, les plaisirs.

S’il se trouvait par hasard deux êtres capables de ressentir un amour réel, ils ne se rencontraient pas, ou se trouvaient dans la vie placés dos à dos ; chacun des deux se trouvait apparié avec un être d’une autre nature.

L’amour semble exister toujours entre deux personnes, non pas qui s’aiment également, mais l’une qui aime et l’autre qui est aimée : à tel point que parfois il arrive que les deux changent de rôle, que l’amant, par exemple, aime avant la possession, et que la maîtresse aime après.

Par momens, l’ame de feu Bressier regrettait de ne pas être remontée au soleil en sortant de sa prison.

Un jour cependant, comme elle s’amusait au fond d’un grand cactus pourpre à charger les pattes d’une abeille de la poussière d’or parfumée des étamines dont elle doit faire son miel, elle s’avisa de suivre l’insecte dans son vol capricieux.

Après être entrée dans quelques fleurs du jardin, l’abeille s’éleva tout à coup à une grande hauteur, et pénétra par la fenêtre dans une chambre pleine de fleurs rares dans de magnifiques vases du Japon. C’était la plus jolie chambre qu’on put voir. Des étoffes de soie blanche tendues au plafond et sur les murailles en faisaient une tente attachée avec de grosses ganses d’or. Le parquet était couvert de peaux de tigres, la cheminée chargée de vases de la plus grande richesse ; sur un canapé du temps de Louis XV, en bois doré, avec des coussins en soie blanche, était à demi couchée une femme dont le costume trahissait un reste de deuil ; elle était d’une grande beauté.

Ses regards étaient pleins d’un feu humide, toute sa personne respirait la tristesse et l’amour ; mais ni l’un ni l’autre de ces sentimens n’étaient inspirés par celui dont on portait un deuil si coquet, ou plutôt contre le deuil duquel on combattait avec tant d’adresse. L’abeille fit quelques tours dans la chambre, se plongea et se roula dans les amaryllis des vases, puis s’échappa. Pour l’ame de feu Bressier, elle resta auprès de la belle veuve, se jouant dans ses cheveux et dans les dentelles de sa parure, et pensant que l’heureux mortel