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a voulu être Saint-Martin, puis il a voulu être Beaumarchais ; puis enfin toutes ces ambitions ne lui ont pas suffi, il a rêvé la gloire de Dante : il a prétendu attacher son nom à un de ces monumens impérissables destinés à rester debout au milieu des débris du siècle qui les voit s’élever. La difficulté était de trouver des matériaux pour ce monument ; M. de Balzac a imaginé de construire sa nouvelle œuvre avec toutes les œuvres qu’il avait produites déjà. Le ciment qui doit réunir tous ces fragmens dissemblables, c’est ce merveilleux titre de la Comédie humaine. Grace à ce titre, les ouvrages qu’il a pu faire autrefois pour obéir à ses caprices d’artiste, et ceux que, d’après ses confessions, il fit pour obéir à ses créanciers, se trouvent tous avoir un même but qui en fait une épopée colossale, soumise dans toutes ses parties aux lois de l’unité. Quand M. de Balzac a eu entassé ainsi dans un ordre mystérieux ses romans sur ses romans, il a été ébloui par la grandeur de l’édifice qui se dressait devant lui, et c’est alors qu’il a écrit cette prodigieuse préface, où, de progression en progression, il arrive à marquer sa place parmi les législateurs de l’humanité. Malheur aux gens qui ne s’inclineront pas devant cette nouvelle chaire de morale ! Ceux qui calomnient la Physiologie du Mariage auraient calomnié le Phédon et l’Évangile. En vérité, toutes ces extravagances ont quelque chose qui est encore plus douloureux que grotesque, lorsqu’on songe au talent réel que M. de Balzac dépense dans de pareilles rêveries. Au moins, si la Comédie humaine était, comme Vautrin ou Quinola, une entreprise dont le sort se décide en quelques heures ; mais non : en supposant contre toute probabilité que M. de Balzac doive renoncer un jour à la chimère qu’il caresse à présent, il lui faudra plus d’une année pour arriver à ce sage parti, et, pendant ce temps, qui sait s’il n’aura pas réalisé l’effrayant engagement qu’il prend dans sa préface de nous donner la Pathologie de la vie sociale, l’Anatomie des corps enseignans et la Monographie de la Vertu ?

Aucune époque, je crois, n’a vu plus de tentatives ambitieuses que la nôtre. Heureusement que ces entreprises sont déjouées par le bon sens public. Depuis douze ans, quelquefois vaincu, bien plus souvent victorieux, le bon sens a soutenu en France une magnifique lutte. Il a combattu les maximes séditieuses en matière littéraire comme en matière de gouvernement et de morale. Nous lui devons le maintien de notre langue comme nous lui devons le maintien de nos institutions. L’arme qui a le plus contribué à ses victoires, c’est