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Harold, ont réveillé chez nos écrivains mille désirs inconnus. On a découvert que le génie pouvait contracter avec la fortune une alliance infiniment préférable à sa vieille alliance avec la pauvreté ; on a trouvé qu’au point de vue de l’art, comme à tous les points de vue possibles, il valait mieux parcourir en chaise de poste les grandes routes de l’Europe que d’aller d’un clocher à l’autre en portant sa valise sur le dos. Tout en croyant à cette poésie de la mansarde, qui donne tant de charme à quelques-unes des chansons de Béranger, je n’entends point dire que les enchantemens dont la puissance féerique de l’or peut remplir notre vie ici-bas ne soient pas merveilleusement utiles à entretenir les fantaisies de l’imagination. Seulement je ferai remarquer à ceux qui veulent pour leur existence les splendeurs de l’existence de Byron, que l’auteur de Don Juan appartenait à cette aristocratie anglaise dont les fortunes sont toujours préservées d’un complet naufrage par la constitution même du pays. La naissance de lord Byron lui ouvrait, dès ses premiers pas dans la carrière, ce monde dont l’accès vainement tenté cause à quelques écrivains ambitieux plus d’efforts qu’il ne leur en faudrait pour faire de bons livres. Le descendant des compagnons de Guillaume-le-Conquérant ne pouvait pas vivre pauvre dans cette Angleterre où son nom l’appelait à siéger parmi les lords de la chambre haute. La dot de miss Milbanke servit sans doute à réparer, en même temps que le vieux château de Newstead, bien des brèches faites d’avance par le jeune pair à la fortune qui ne pouvait manquer de lui venir un jour. Malgré les sommes énormes que dut rapporter à Byron la prodigieuse popularité de ses œuvres, on peut donc dire qu’il eut une vie de grand seigneur tout-à-fait indépendante de sa vie littéraire. Les gens qui veulent imiter aujourd’hui sa royale façon de répandre l’or n’ont pas, pour la plupart, d’autres sources de richesses que celles qui sont renfermées dans leur intelligence. Je me souviens du héros d’un conte de fées qui possède une rose d’où s’échappent, dès qu’on l’agite, ducats, sequins et doubles piastres ; leur talent est cette rose magique : malheureusement c’est une rose qui s’effeuille à force d’être secouée. Que dirait-on d’un homme qui voudrait toujours voir sa maîtresse dans de radieuses parures, mais qui entendrait qu’elle gagnât ces parures par un travail meurtrier ? Les romanciers actuels sont avec leur muse comme cet homme serait avec sa maîtresse : ils trouvent que le luxe lui sied ; ils veulent qu’elle se procure le luxe. L’imagination se prête avec peine aux obligations journalières d’un travail forcé ; la folle du logis sent qu’elle n’est point faite pour bailler des