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avait envoyé déjà ses historiens et ses philosophes, il s’éleva un poète qui, par l’incroyable puissance d’une imagination dominatrice, exerça presque autant d’influence parmi nous sur une jeunesse au milieu de laquelle il n’était pas né et dont il ne parlait pas le langage, que le grand captif de Sainte-Hélène en avait exercé pendant quinze ans sur les générations qui tombaient en l’adorant au pied de ses drapeaux. Byron replaça le laurier au front des poètes. Les jeunes filles ne rêvèrent plus de colbacks et de dolmans, mais de manteaux flottans et de chevelures en désordre. Avec d’autres costumes pour le corps et pour la pensée, on reprit le XVIIIe siècle, et on le continua au bénéfice des vanités littéraires. On vit se rouvrir des salons où des triomphes renouvelés chaque soir étaient décernés aux écrivains en vogue ; en un mot, la littérature hérita en France de tout l’éclat, de toute la force, de toute la vie qui s’étaient retirés de la carrière des armes. Il y a douze ans, l’odeur de cartouches qui parfuma Paris pendant trois jours réveilla quelques instincts militaires ; il y eut une génération qui sortit toute frémissante des écoles, croyant avoir grandi pour les batailles. On sait avec quelle force l’image de Bonaparte se représenta alors comme par enchantement à l’esprit du peuple ; on crut qu’on allait voir renaître au bruit du tambour les merveilles évanouies de l’empire. Tant qu’on entendit dans le lointain le canon de détresse qui annonçait le naufrage de la révolution polonaise, nul homme, parmi ceux qui avaient deux bras valides au service de leur cœur, ne put savoir s’il serait ou ne serait pas soldat. Mais ces émotions guerrières s’éteignirent dans un calme devenu bientôt aussi profond que celui de la période dont on sortait. Alors la puissance fut définitivement conférée aux lettres. Il y eut, chez ceux qui écrivent, quelques fortunes éclatantes comme il y en avait eu autrefois chez ceux qui combattaient. Les hommes qui voyaient sous la république leurs camarades de la veille devenir leurs généraux du lendemain ne devaient-ils pas rêver tous un semblable sort ? Aujourd’hui qu’on a vu les portefeuilles de ministres tomber dans les rangs des écrivains, le dernier soldat de cette grande et impétueuse armée, si prompte aux pensées ambitieuses, ne doit-il point se promettre d’avoir à son tour sa part de grandeur et de puissance ? La marotte de presque tous ceux qui tiennent une plume en ce temps-ci, c’est d’aider et de diriger la société dans sa marche. Si la jalousie, l’aveuglement et l’injustice des gens qui gouvernent ne vous retirent point de la foule, du sein de cette foule on essaiera de faire entendre sa voix. On chargera un drame ou un roman d’exprimer ses idées