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mémoire des appels désespérés, on recommande à ses yeux de ne pas perdre un regard ; le moindre repos, les heures des repas et du sommeil, vous semblent des vols que vous vous faites, car l’impérieuse nécessité vous entraîne, et bientôt il va falloir partir : le feu flambe déjà sous la chaudière du bateau à vapeur, l’eau siffle et bout, les cheminées dégorgent leur blanche fumée ; demain, vous quitterez toutes ces merveilles pour ne plus les revoir sans doute !

Ne pouvant parler de tout, je me bornerai à mentionner le Saint Antoine de Padoue de Murillo, qui orne la chapelle du baptistère. Jamais la magie de la peinture n’a été poussée plus loin. Le saint en extase est à genoux au milieu de sa cellule, dont tous les pauvres détails sont rendus avec cette réalité vigoureuse qui caractérise l’école espagnole. À travers la porte entr’ouverte, l’on aperçoit un de ces longs cloîtres blancs en arcades si favorables à la rêverie. Le haut du tableau, noyé d’une lumière blonde, transparente, vaporeuse, est occupé par des groupes d’anges d’une beauté vraiment idéale. Attiré par la force de la prière, l’enfant Jésus descend de nuée en nuée et va se placer entre les bras du saint personnage, dont la tête est baignée d’effluves rayonnantes et se renverse dans un spasme de volupté céleste. — Je mets ce tableau divin au-dessus de la Sainte Élisabeth de Hongrie pansant un teigneux que l’on voit à l’académie de Madrid, au-dessus du Moïse, au-dessus de toutes les vierges et des enfans Jésus du maître, si beaux et si purs qu’ils soient. Qui n’a pas vu le Saint Antoine de Padoue ne connaît pas le dernier mot du peintre de Séville ; c’est comme ceux qui s’imaginent connaître Rubens et qui n’ont pas vu la Madeleine d’Anvers.

Tous les genres d’architecture sont réunis à la cathédrale de Séville. Le gothique sévère, le style de la renaissance, celui que les Espagnols appellent plateresco ou d’orfèvrerie, et qui se distingue par une folie d’ornement et d’arabesques incroyable ; le rococo, le grec et le romain, rien n’y manque, car chaque siècle a bâti sa chapelle, son retablo, avec le goût qui lui était particulier, et l’édifice n’est même pas tout-à-fait terminé. Plusieurs des statues qui remplissent les niches des portails, et qui représentent des patriarches, des apôtres, des saints, des archanges, sont en terre cuite seulement et placées là comme d’une manière provisoire. — Du côté de la cour de los Naranjos, au sommet du portail inachevé, s’élève la grue de fer, symbole indiquant que l’édifice n’est pas terminé, et sera repris plus tard. Cette potence figure aussi au faîte de l’église de Beauvais, mais quel jour le poids d’une pierre de taille lentement hissée dans l’air