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leurs plus précieuses orfèvreries, ont quelque chose de souffreteux, d’émacié, de malingre, qui sent la barbarie et l’enfance de l’art. L’architecture du Mirah montre au contraire une civilisation arrivée à son plus haut développement, un art à son période culminant ; au-delà, il n’y a plus que la décadence. La proportion, l’harmonie, la richesse et la grace, rien n’y manque. De cette chapelle, l’on entre dans un petit sanctuaire excessivement orné, dont le plafond est fait d’un seul bloc de marbre creusé en conque et ciselé avec une délicatesse infinie. C’était là probablement le saint des saints, l’endroit formidable et sacré où la présence de Dieu est plus sensible qu’ailleurs.

Une autre chapelle, appelée capilla de los reyes moros, où les califes faisaient leurs prières séparés de la foule des croyans, offre aussi des détails curieux et charmans ; mais elle n’a pas eu le même bonheur que le Mirah, et ses couleurs ont disparu sous une ignoble chemise de chaux.

Les sacristies regorgent de trésors ; ce ne sont qu’ostensoirs étincelans de pierreries, châsses d’argent d’un poids énorme, d’un travail inoui, et grandes comme de petites cathédrales, chandeliers, crucifix d’or, chappes brodées de perles : un luxe plus que royal et tout-à-fait asiatique.

Comme nous nous apprêtions à sortir, le bedeau qui nous servait de guide nous conduisit mystérieusement dans un recoin obscur, et nous fit remarquer pour curiosité suprême un crucifix qu’on prétend avoir été creusé avec l’ongle par un prisonnier chrétien sur une colonne de porphyre au pied de laquelle il était enchaîné. Pour constater l’authenticité de l’histoire, il nous montra la statue du pauvre captif placée à quelques pas de là. Sans être plus voltairien qu’il ne le faut en fait de légende, je ne puis m’empêcher de penser qu’autrefois l’on avait des ongles diablement durs, ou que le porphyre était bien tendre. Ce crucifix n’est d’ailleurs pas le seul ; il en existe un second sur une autre colonne, mais beaucoup moins bien formé. Le bedeau nous fit voir aussi une énorme défense d’ivoire suspendue au milieu d’une coupole par des chaînes de fer, et qui semblait la trompe de chasse de quelque géant sarrazin, de quelque Nemrod d’un monde disparu ; cette défense appartient, dit-on, à l’un des éléphans employés à porter les matériaux pendant la construction de la mosquée. Satisfaits de ses explications et de sa complaisance, nous lui donnâmes quelques piécettes, générosité qui parut déplaire beaucoup à l’ancien