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CORDOUE ET SÉVILLE.

La Carlotta, où nous nous arrêtâmes pour passer la nuit, est un hameau sans importance. L’auberge occupe un ancien couvent métamorphosé d’abord en caserne, comme cela a presque toujours lieu dans les temps de révolution, la vie militaire étant celle qui s’enchasse et s’emménage le plus facilement dans les bâtimens disposés pour la vie claustrale. De longs cloîtres en arcades formaient galerie couverte sur les quatre faces des cours. Au milieu de l’une d’elles bâillait la bouche noire d’un puits énorme, très profond, qui nous promettait le délicieux régal d’une eau bien claire et bien froide. En me penchant sur la margelle, je vis que l’intérieur était tout tapissé de plantes du plus beau vert qui avaient poussé dans l’interstice des pierres. Pour trouver quelque verdure et quelque fraîcheur, il fallait effectivement aller regarder dans les puits, car la chaleur était telle qu’on eût pu la croire produite par le voisinage d’un incendie. La température des serres où l’on élève des végétations tropicales peut seule en donner une idée. L’air même brûlait, et les bouffées de vent semblaient charrier des molécules ignées. J’essayai de sortir pour aller faire un tour dans le village, mais la vapeur d’étuve qui m’accueillit dès la porte me fit rebrousser chemin. Notre souper se composa de poulets démembrés étendus pêle-mêle sur une couche de riz aussi relevé de safran qu’un pilau turc, et d’une salade (ensalada) de feuillages verts nageant dans un déluge d’eau vinaigrée, étoilée çà et là de quelques îlots d’huile empruntée sans doute à la lampe. Ce somptueux repas terminé, l’on nous conduisit à nos chambres qui étaient déjà tellement habitées que nous allâmes achever la nuit au milieu de la cour, dans notre manteau, une chaise renversée nous servant d’oreiller. Là, du moins, nous n’étions exposés qu’aux moustiques, et en mettant des gants et en voilant notre figure d’un foulard, nous en fûmes quittes pour cinq ou six coups d’aiguillon. Ce n’était que douloureux, et non dégoûtant.

Nos hôtes avaient des figures légèrement patibulaires, mais depuis long-temps nous n’y prenions plus garde, accoutumés que nous étions à des physionomies plus ou moins rébarbatives. Un fragment de leur conversation que nous surprîmes nous montra que leurs sentimens étaient assortis à leur physique. Ils demandaient à l’escopetero, croyant que nous n’entendions pas l’espagnol, s’il n’y avait pas un coup à faire contre nous en nous allant attendre quelques lieues plus loin. L’ancien associé de José Maria leur répondit d’un air parfaitement noble et majestueux : Je ne le souffrirai pas, puisque ces gentilshommes sont de ma compagnie ; d’ailleurs ils s’attendent à être