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REVUE. — CHRONIQUE.

guerre eût éclaté entre la France et l’Europe ? La plaisanterie est trop forte. L’Angleterre, l’Autriche, la Russie elle-même, ont autre chose à faire que de commencer une guerre européenne pour donner à la Porte le gouvernement direct et absolu de la Syrie. Elles auraient fait à leur tour ce que nous avons fait, après le traité du 15 juillet, auprès de Méhémet-Ali. Elles auraient agi, pesé sur Constantinople pour lui faire accepter notre ultimatum ; plus habiles que nous, elles auraient su prévenir l’intervention de la force matérielle et représenter la concession du sultan comme un acte arraché en grande partie par leur influence.

Quoi qu’il en soit, le fait qui attire en ce moment l’attention des hommes politiques, c’est la révolution qui vient de s’opérer en Servie. Le prince Michel a été détrôné et remplacé par un descendant de Czerni-George. La Porte paraît accepter le nouveau prince ; les puissances au contraire se disposent, dit-on, à exiger le rétablissement du prince déchu. Il y a là une complication d’intérêts et d’intrigues que nous avons peine à démêler. Ce qu’il y a de frappant, c’est le rôle secondaire, j’ai presque dit subalterne, que l’Autriche paraît jouer dans ces ténébreuses transactions ; telles sont du moins les apparences. On dirait que la Servie est à mille lieues du Danube, et que les affaires de l’Orient ne touchent en rien aux intérêts de l’Autriche. La politique autrichienne semble devenir tous les jours moins active et plus expectante. Nous n’avons cependant pas la prétention de la juger. Certes, considérée dans un certain ordre d’idées, elle a été depuis long temps fort habile. Peut-être son inaction d’aujourd’hui est-elle encore de l’habileté. Du reste, au point de vue qui nous intéresse et nous occupe, la révolution servienne ne peut avoir de fâcheuses conséquences. Si le prince Michel est rétabli, la puissance morale de la Porte en recevra une nouvelle atteinte ; ses sujets chrétiens tourneront de plus en plus leurs regards vers l’Europe, et se confirmeront dans leur mépris de l’autorité du sultan. Si les puissances acceptent la violation des traités et reconnaissent l’usurpation, les Turcs, enivrés du succès, marcheront de folies en folies, et amèneront, par leurs imprudences, une de ces catastrophes que les hommes ne sauraient réparer. Quoi qu’il arrive, la cause du christianisme et de la civilisation doit triompher.

Dans l’intérieur, le calme continue. L’agitation des esprits politiques ne recommencera que dans six semaines, lorsque les salons de Paris ne seront plus si déserts et que le frottement des idées excitera et alimentera les passions des hommes de parti. En attendant, on se prépare au combat, on refait ses forces, on étudie la carte, on aiguise ses armes.

Le cabinet aussi paraît jouir de ce calme général ; mais ce n’est là qu’une apparence. Dans le secret de ses conseils, on le dit fort occupé de son avenir, des projets que le pays attend, et qui pourraient, par leur importance et par leur éclat, contraindre au silence même les adversaires les plus résolus du 29 octobre. Nous croyons sans peine que le ministère ne compte pas, pour sa durée, sur l’inaction. Elle serait pour lui une cause certaine de chute, et