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cère désir avait le gouvernement anglais d’arriver à un arrangement. Lord Ashburton avait été, sous le nom d’Alexandre Baring, le plus fort négociant des deux mondes. Ayant épousé une Américaine, la fille de M. Bingham, de Philadelphie, possédant de grands biens aux États-Unis et en Angleterre, ayant des intérêts considérables engagés dans le commerce des deux pays, le chef de la maison Baring devait être un négociateur essentiellement pacifique.

C’est ce qu’il fut en effet. Après quelques mois de négociations, le plénipotentiaire britannique signa à Washington, le 9 août, le traité qui réglait définitivement les frontières. Le sentiment qui a dominé en Angleterre, à la nouvelle de cet évènement, a été, comme nous l’avons dit, celui d’une satisfaction générale ; on a moins considéré la substance que le fait même du traité ; on ne s’est pas demandé à quel prix cette conclusion avait été achetée, on s’est dit seulement qu’une question de paix et de guerre, dont l’incertitude était un obstacle insurmontable à la sécurité des relations commerciales, était enfin résolue, après soixante années de négociations difficiles et de contestations irritantes. Quand on a examiné de plus près les détails du traité, l’enthousiasme s’est considérablement refroidi ; on a trouvé que les États-Unis avaient spéculé sans vergogne et sans discrétion sur l’empressement qu’avait manifesté l’Angleterre à terminer le différend, et qu’ils avaient fait payer bien cher leur adhésion. Cependant les Anglais avaient tellement hâte d’en finir, qu’ils s’estimèrent encore heureux d’avoir obtenu, même à ce prix, un règlement définitif. Ils ne le cachaient pas, et le principal organe des intérêts commerciaux, qui est en même temps celui de la politique du gouvernement, disait, dans des termes fort intelligibles : « Il ne s’agit pas ici de sentiment, mais de politique. La question est : avons-nous ou n’avons-nous pas des raisons de nous féliciter que ces contestations aient été réglées entre les deux pays, même au prix de ce que nous considérons comme nos droits ? Les États-Unis auraient-ils accepté d’autres conditions ? Là est toute la question… N’auraient-ils pas toujours ajourné toute solution jusqu’au moment où l’Angleterre aurait eu les mains liées ? Ils savaient très bien que les délais étaient en leur faveur. Ils n’y perdaient rien, nous y perdions beaucoup, et nous devions nous attendre à payer pour en finir… C’est une concession, nous le savons ; mais ce que nous avons concédé était certes moins précieux que la tranquillité que nous avons achetée. »

Nous avons cité ces paroles parce qu’elles posent très clairement la question. Il est incontestable que c’est la Grande-Bretagne qui a fait tous les frais du traité ; sur tous les points contestés, elle a, si l’on veut nous passer cette expression populaire, mis les pouces. Nous ne nous sentons, en général, aucune inclination à répéter les déclamations convenues contre ce qu’on appelle la « politique de l’étranger. » Quand nous avons vu les journaux de l’opposition, en Angleterre, s’emparer de cet argument à l’usage de toutes les oppositions, et se plaindre amèrement que l’honneur et les intérêts du pays eussent été sacrifiés, nous avons dû faire la part de la nécessité où se croit toujours un parti dissident de vouloir le contraire de ce que veut le gouvernement.