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DIPLOMATIE ÉTRANGÈRE.

toire contesté ; le reste se peuplait d’année en année ; des pionniers, des familles, des colonies, s’établissaient au hasard sur la frontière, préparant des difficultés sans nombre aux négociateurs qui auraient à leur assigner plus tard une nationalité. Dans cette sorte de concurrence, les États-Unis avaient une incontestable supériorité de position. La population américaine était à la source de la patrie commune, et s’épanchait sans interruption sur le territoire contesté ; la population anglaise ne se recrutait que par l’émigration, toujours bornée et toujours irrégulière. Les américains de la frontière avaient derrière eux toute l’Union ; les colons du Canada et du Nouveau-Brunswick avaient leur point d’appui à plusieurs centaines de lieues. L’Angleterre était obligée d’être constamment sur la défensive, elle ne pouvait assurer la sécurité de ses colonies qu’en y entretenant une armée dispendieuse ; les États-Unis, au contraire, sans efforts, sans préparatifs, étaient naturellement sur l’offensive ; ils avaient un casus belli toujours ouvert, ils avaient le choix de l’heure, du moment le plus propice pour faire valoir leurs prétentions. Les occasions de rupture ne manquaient pas ; des contestations fréquentes éclataient sur la frontière, les républicains de l’Union étaient toujours prêts à s’allier aux mécontens du Canada ; lors de l’insurrection de 1837, l’Angleterre avait appris à connaître les dispositions des sympathiseurs américains, et comme le point stratégique qui lui était le plus nécessaire, la ligne de communication entre Quebec, Halifax et Fredericktown, se trouvait sur le territoire contesté, la sécurité de ses possessions était à la merci d’une nouvelle révolte de ses sujets ou d’une irruption inattendue de ses voisins.

Ce fut en cet état que lord Palmerston légua à ses successeurs la question de la frontière américaine. Il leur laissa en même temps pour héritage la guerre dans presque toutes les parties du monde, et se retira du pouvoir, comme ces hommes qui mettent le feu à la maison qu’ils sont obligés de quitter. Le ministère whig portera long-temps le poids de ce sanglant reproche qui lui fut adressé par un de ses adversaires. Il laissait après lui la guerre de l’Inde, ce gouffre insatiable où depuis quatre ans la métropole verse en vain ses trésors, sinistres catacombes de ses armées, qu’elle ne peut garder sans péril, ni abandonner sans honte ; il laissait la guerre avec la Chine, avec cette masse gigantesque et mystérieuse qu’après trois ans de misérables victoires, l’Angleterre n’a pas encore entamée ; il laissait l’Orient bouleversé par les suites d’une guerre insensée, la France tremblante du ressentiment d’un affront, et l’Europe entière troublée par le réveil téméraire de passions mal éteintes.

Pour faire face à tant d’embarras, la Grande-Bretagne avait besoin de toutes ses forces ; pour qu’elle pût s’occuper de l’Orient, il fallait qu’elle fût tranquille du côté de l’Occident. Or, cette question des frontières américaines était toujours suspendue sur sa tête comme l’épée de l’histoire ancienne : il fallait la résoudre à tout prix. Dès que le ministère tory arriva au pouvoir, il se mit à l’œuvre de ce côté, et, au commencement de cette année, il envoya à Washington un plénipotentiaire chargé de négocier une transaction.

Le choix de cet envoyé extraordinaire eût suffi seul pour montrer quel sin-