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il est assez souvent, malgré ses ambassades, au-dessous de ses prétentions et de ses modèles. Mais ces défauts sont surtout de son temps et de son pays. Il mérite d’être loué pour ce qu’il a essayé, même sans un complet succès, et il est encore, malgré ses imperfections, un des personnages littéraires les plus importans de son siècle.

Après Mendoza vient Moncada. Celui-ci est encore un très grand seigneur. On s’est généralement accoutumé à croire que la grandesse espagnole a toujours vécu dans l’ignorance et l’oisiveté ; c’est une erreur. Sans parler des temps féodaux et héroïques, les nobles d’Espagne avaient encore conservé beaucoup d’activité pendant le XVIe siècle et même pendant le XVIIe. Ils ne sont tombés dans l’inertie que lorsqu’une langueur fatale a gagné la nation entière. Cette langueur elle-même n’est pas, quoi qu’on ait l’air d’en croire aujourd’hui, la conséquence forcée du climat. Il y a eu des temps où l’Espagne a été très laborieuse, très animée. La noblesse était alors à la tête du mouvement dans toutes les directions ; presque tous les écrivains du siècle d’or étaient nobles, et quelques-uns appartenaient aux plus illustres familles du pays. Ce n’était pas déroger que de se livrer aux travaux de l’esprit, bien au contraire. En Espagne comme en Italie, la science et le goût étaient considérés comme les complémens nécessaires d’une naissance distinguée ; l’ignorance n’est venue qu’avec la décadence. Tout s’enchaîne dans les avantages humains : puissance, richesses, lumières, viennent ou s’en vont ensemble, et les uns les autres ne s’obtiennent et ne se conservent que par le travail.

On sait quelles furent au XIIIe siècle les luttes de la maison d’Anjou et de la maison d’Aragon pour la possession de la Sicile. Ces luttes finirent en 1303 par le mariage de don Frédéric, roi de Sicile, frère du roi don Jaime d’Aragon, avec une fille de Charles II, roi de Naples et fils de Charles d’Anjou. Les soldats et capitaines d’aventure qui avaient servi sous les drapeaux aragonais pendant la guerre se trouvèrent sans occupation après la paix ; ils choisirent pour chef un célèbre aventurier du temps nommé Roger de Flor, et cherchèrent par toute l’Europe le moyen d’utiliser leurs bras. Andronic Paléologue, empereur d’Orient, étant en ce moment assailli par les Turcs, leur fit proposer de venir à son secours. Ils y consentirent et s’embarquèrent pour le Levant. Là ils firent, suivant la chronique, des prodiges de valeur, remportèrent des victoires signalées, et délivrèrent Andronic. Aussitôt après leur commune victoire, la désunion se mit entre l’empereur et ses défenseurs, soit qu’il y eût ingratitude de la part de la cour de Bysance, soit qu’il y eût excès d’exigence de la part