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comique, dont la forme et le fond sont également populaires. Aussi, plusieurs critiques ont-ils douté que Mendoza en fût réellement l’auteur. Cette singularité s’explique cependant par la joyeuse liberté de la vie d’étudiant au moyen-âge, et par le mélange des conditions et des fortunes, qui a de tout temps caractérisé les universités d’Espagne, où le mendiant vit d’égal à égal avec le grand seigneur.

Si Mendoza est le véritable inventeur de Lazarille de Tormes, ce n’est pas pour lui une petite gloire. Jamais livre n’eut plus de succès et plus d’imitateurs. Toute une littérature en découle. Il ne fut pas sans influence sur la création de Don Quichotte ; il inspira en Espagne, et plus tard en France, tous ces romans d’aventures dont la longue liste se termine par un chef-d’œuvre, Gil Blas. Comme tous les précurseurs, l’auteur de Lazarille a été éclipsé par ceux qui l’ont suivi ; son nom même est devenu un mystère. Ce court écrit n’en est pas moins la source d’où sont sorties tant d’imaginations amusantes et de piquantes plaisanteries. Le style est déjà la perfection du genre ; c’est bien cette manière alerte, cavalière, moqueuse, que tant d’écrivains ont imitée. La langue de Lazarille est toute pleine de ces locutions familières et vivantes, sorties du peuple, dont la plupart paraissaient alors dans un livre pour la première fois, et que toutes les langues de l’Europe, surtout la nôtre, ont cherché plus tard à s’approprier.

Quoi qu’il en soit de l’origine de ce livre, don Diego ne donna pas, dans tous les cas, beaucoup de temps à de pareilles distractions. Porté par son génie, dit son historien, aux actions de bruit et de renom, il passa en Italie dès qu’il fut en âge de porter les armes, et y combattit plusieurs années. On ne sait pas avec certitude à quelles batailles il assista ; on voit seulement que, dans son histoire de la guerre de Grenade, il compare quelquefois ce qu’il a sous les yeux à ce qui se passait dans les nombreuses armées qu’il a déjà vues, et qui étaient guidées, les unes par l’empereur Charles-Quint, les autres par le roi François de France ; d’où l’on peut conclure qu’il assistait à la bataille de Pavie et aux autres principaux épisodes de la grande lutte qui ensanglantait alors l’Italie. Presque tous les écrivains de l’ancienne Espagne ont porté les armes. La vie militaire était pour eux comme la préparation indispensable de la vie littéraire. Il ne paraît pas cependant que Mendoza ait long-temps fait la guerre ; même à cette époque il employait beaucoup plus son temps en Italie à suivre les universités qu’à courir les hasards de la campagne.

On était alors dans la première moitié du XVIe siècle, c’est-à-dire