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HISTORIENS ESPAGNOLS.

une fois on a pris la peine de se transporter au milieu de ces siècles oubliés, on est étonné de l’incomparable fécondité du génie espagnol et des fruits nombreux qu’il a produits.

Pour ne prendre qu’une portion de cet immense sujet, bornons-nous à la littérature historique. L’Espagne passe pour avoir eu peu d’historiens. Les seuls noms d’historiens qui aient franchi les monts sont ceux de Mariana, de Solis et de Zurita. Il s’en faut bien cependant que ce soit là tout le bagage historique de l’Espagne. Ces trois hommes sont loin de donner une idée des trésors que possède leur pays dans ce genre. L’annaliste de l’Aragon, Zurita, est un chroniqueur consciencieux, mais diffus, et dans la foule des chroniqueurs espagnols il s’en trouve plus d’un qui, pour la franche couleur du récit, l’emporte de beaucoup sur lui. La grande histoire de Mariana est une œuvre admirable de patience, d’érudition et de style ; mais si les critiques nationaux apprécient beaucoup la manière large et savante de ce Tite-Live de l’Espagne, qui passe pour le modèle du castillan classique, peut-être les étrangers ne trouvent-ils dans son immense composition ni assez de critique, ni assez de vie et de mouvement. Solis est le plus intéressant des trois ; mais ce charme qu’il doit à son sujet, certains juges sévères le lui reprochent comme un défaut, et on a dit souvent de son livre que c’était plus un roman qu’une histoire.

Or, il y a en Espagne des écrits historiques qui passent pour être aussi classiques et plus animés que Mariana, aussi agréables et plus véridiques que Solis, aussi exacts et moins indigestes que Zurita. Et pour trouver dans cette littérature des œuvres historiques au moins égales à celles que nous connaissons, il n’est pas nécessaire de fouiller la poudre des bibliothèques, d’en exhumer des chefs-d’œuvre ignorés ; il suffit de s’en rapporter au jugement des Espagnols eux-mêmes, de les consulter un peu sur leurs propres écrivains. Il est bien entendu aussi qu’il ne peut être question de ces documens originaux d’où l’on peut tirer des révélations nouvelles pour l’histoire du pays. De pareils documens sont innombrables en Espagne, et ils promettent une moisson des plus abondantes, des plus curieuses, à qui prendra la peine de les explorer. Mais nous voulons parler d’œuvres d’art, de compositions vraiment littéraires, dignes d’attirer l’attention par elles-mêmes et de servir de modèles, comme celles de Guichardin en Italie et de Robertson en Angleterre. Il en est trois surtout dont le nom est resté jusqu’ici très peu connu chez nous, quoiqu’elles soient célèbres en Espagne : c’est l’Histoire de la Guerre de Philippe II