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çais, pour tout dire, se mettait au service de l’ordre et du bon sens ; pour la première fois on le voyait non plus attaquer, mais soutenir les institutions qui étaient devenues la sauvegarde de la société, et abandonner enfin la cause de la révolte pour celle du gouvernement.

En parodiant les séances de l’assemblée de 1593, en prêtant aux principaux députés des harangues plaisantes, la Ménippée nous a fait un idéal comique qu’on cherche, mais qu’on ne retrouve pas (on serait presque tenté de le regretter) dans les rédactions officielles. Il est cependant curieux de comparer la froide réalité à la vivante satire ; quelquefois, j’ose l’affirmer, cette satire est plus vraie que le procès-verbal. Bien des traits en effet s’y retrouvent, mots piquans, anecdotes ridicules, que les historiens du temps nous racontent à leur tour, mais que les honnêtes greffiers ne se sont pas permis de reproduire. Ce sont au surplus les mêmes hommes, dans le pamphlet et dans l’histoire, ou du moins la caricature est ressemblante à s’y méprendre, elle ne fait que mettre plus en saillie des ridicules et des vices réels.

Et ne reconnaissez-vous pas d’abord ces fougueux députés du clergé, tels que vous les avez trouvés dans De Thou, dans Lestoile, chez les contemporains les plus dignes de foi ? Ce prélat eschauffé en son harnois, qui crie, qui gesticule, qui déclame avec emphase, qui lève ses prunelles blanches vers la voûte, ce déclamateur emphatique auquel il faudrait le chapeau rouge, n’est-ce pas le même parleur au style majestatif dont il est question dans le procès-verbal ? n’est-ce pas d’Espinac, l’archevêque de Lyon ? Cet autre, à côté, que meut une indicible ardeur de mettre en avant sa rhétorique, cet homme aux folles boutades qui ne sait ce qu’il veut et qui entasse pêle-mêle les arguties d’un scolastique et le phébus d’un rhétoricien, n’est-ce point Rose, l’évêque de Senlis, n’est-ce pas lui qui réclame en grognant sa pension d’Espagne ? Dans ce troisième harangueur, brouillon qui s’embarrasse au milieu des quiproquos et des confusions, vieux radoteur à qui il faut son calepin, ignorant prétentieux qui a la fureur de parler à l’avance le latin de Molière, vous avez retrouvé le cardinal Pellevé, le plat apologiste des vertus du roi d’Espagne, le distributeur de la poudre éventée, de l’ingrédient discrédité que lui expédiaient les prétendans de Lorraine. Il n’y a pas moyen d’hésiter non plus devant cet autre cardinal qui parle un italien également burlesque et qui promet à chacun le paradis, à la condition qu’on ne touche pas un mot de la paix, di non parlar mai di pace ; c’est le légat de Plaisance, le charlatan qui offre à tous le catholicon, ce spécifique castillan lequel, avalé à bonnes doses, donnait l’amour de Philippe II. Tout le monde, également à première vue, nommerait ce prodigieux consommateur de circonlocutions, qui, ne faisant semblant de rien, mais rasant tout le monde sans rasoir, voudroit bien estre vous savez bien quoy, c’est Mayenne, le roi manqué, qui, en attendant, file sa lieutenance.

Oui, ici et là, à la tribune sérieuse des états comme à la tribune burlesque de la satire, ce sont bien les mêmes orateurs, ce sont bien les mêmes hommes ; l’histoire nous les montre ainsi, et il ne faut ni beaucoup de sagacité, ni beau-