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LES ÉTATS DE LA LIGUE.

laquelle le parlement, après quelques écarts passagers, était entré par le célèbre arrêt sur la loi salique.

Entre les motifs qui jetèrent une profonde déconsidération sur les états de la ligue, il faut, au premier rang, compter la vénalité patente d’un grand nombre de membres. C’est la seule fois sans doute où une assemblée française ait été ainsi publiquement et officiellement payée par l’étranger. Dès les premières séances, la nouvelle avait couru que plusieurs députés recevaient des pensions. Un pareil bruit blessa l’ordre de la noblesse, qui exigea aussitôt que les représentans de chacun des trois ordres se purgeassent par serment, ce qui eut lieu en effet. Mais bientôt ces engagemens furent violés. On reçut d’abord, par l’entremise de Mayenne, et sans trop s’enquérir des sources, une subvention et entrétenement, je n’invente pas les mots ; puis, quand le gros des députés fut parti, ceux qui restèrent ne tardèrent pas à abdiquer tout scrupule. Personne ne se fit plus prier pour recevoir ouvertement, régulièrement la paie des agens espagnols : Tassis en personne portait les sommes aux états. Quand l’argent tarda à venir, on se plaignit même tout haut ; dans les séances officielles on discuta en pleine chambre sur la route à suivre pour toucher l’arriéré, pour faire augmenter les secours. Tantôt c’est Mayenne qui se charge de presser le caissier de Philippe II ; tantôt ce sont les députés qui vont requérir eux-mêmes l’ambassadeur Feria, de subvenir à leur nécessité, » et Feria répond poliment « qu’il essaiera de les rendre contens. » Plus de vingt-quatre mille écus furent de la sorte répartis, seulement d’après le procès-verbal publié par M. Bernard. Ce ne furent point là les scènes les plus scandaleuses : les diverses chambres, les députés entre eux, finirent par se prendre de dispute sur les fonds à partager. Ainsi quelques-uns furent soupçonnés de toucher des sommes à part au préjudice de la généralité, et les jaloux exigèrent le serment. Puis, comme il y avait inégalité entre le nombre des membres présens de chaque ordre, comme plusieurs représentans du tiers, par exemple, desdaignoient d’y venir, le clergé prétendit avoir droit à une plus grosse part ; mais la bourgeoisie prit l’héroïque résolution de se tenir ferme à deux mil escus pour son mois, et elle menaça de faire plutôt retraite. Voilà les hontes qui souillent les dernières réunions de cette assemblée publique. Trois hommes honorables, parmi ceux qui condescendaient à venir encore aux séances, protestèrent seuls contre cette infâme dégradation. C’est ainsi que L’Huillier, le président du tiers, osa dire, en parlant de la subvention espagnole, que « cela ne pouvoit estre trouvé bon ; » c’est ainsi que le futur chancelier Du Vair et le secrétaire Thielement refusèrent de prendre aucune chose et ne manquèrent jamais de remettre leur part à l’huissier pour être distribuée aux pauvres de l’Hôtel-Dieu. Le noble désintéressement de ces deux hommes, qui fait heureusement contraste avec l’avidité misérable de leurs collègues, n’inspire à M. Bernard que l’incroyable phrase que voici : « Il est juste de faire remarquer qu’ils n’étaient pas réduits aux mêmes nécessités que les députés des provinces. Ceux-ci étaient privés de toute ressource pécuniaire à Paris. » Je me dis-