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aux intrigues des coteries, aux accessions des prétendans. Ils étaient entourés, caressés, choyés : Lestoile assure qu’on les accablait de visites, même la nuit. Mais, dans les procès-verbaux officiels, rien ou presque rien de tout cela ne transpire sous le décorum de la rédaction.

L’assemblée de 1593 n’eut pas la force d’attirer à elle, d’absorber dans son sein la vie sociale. Il est évident, pour donner un exemple incontestable, que le levier, la vraie force des tribuns de la ligue, lesquels étoient en même temps prédicateurs et députés, résidait beaucoup plutôt dans la chaire que dans la tribune. Aussi les discours des orateurs parlementaires paraissent-ils bien pâles à côté des déclamations des orateurs religieux. Chose singulière ! on ne rencontre même pas chez eux ces théories démocratiques, ces spéculations hardies que les publicistes de la réforme et de la réaction catholique avaient tour à tour popularisées ; si bien qu’il n’a pas été prononcé dans les chambres de la ligue une seule de ces allocutions audacieuses comme celle de ce député de la noblesse de Bourgogne qui, aux états de 1484, n’avait pas hésité à invoquer l’élection populaire des rois et à déclarer, avant Sieyès, que le peuple c’est tout le monde, omnes cujusque status. En n’osant se prononcer décidément pour aucun parti, et cela dans des circonstances aussi graves et où une solution semblait urgente, la réunion de 1593 finit par être accablée du mépris général. Bientôt des placards injurieux furent de toutes parts affichés. Le cordelier Garin déclara en chaire que « leurs beaux estats, c’estoit la cour du roy Pétault, » et le jésuite Commelet, s’attaquant aux députés dans un sermon, finit par s’écrier : « Ruez-vous hardiment dessus, mes amis, estouffez-les-moi. » Voilà, malgré la sage et habile conduite d’un certain nombre de membres du tiers, où, presque dès l’abord, cette assemblée en était tombée dans l’opinion ; voilà comment on osait la traiter en public.

Une fois ce caractère d’inertie et d’indécision devenu patent, les députés n’eurent pas de meilleur parti à prendre que de perdre beaucoup de temps dans les discussions préliminaires, dans les cérémonies, les formalités, les lenteurs. Comme le dit spirituellement d’Aubigné, « les estats commençoyent tous les jours et ne commençoyent point. »

La maladresse des envoyés espagnols facilita singulièrement aux députés les fins de non-recevoir déguisées, les ajournemens patelins par lesquels ils ne cessèrent de différer ou d’éluder les prétentions de Philippe II, tout en recevant ses doublons. Dès l’arrivée du duc de Feria, l’assemblée avait envoyé à cet ambassadeur une députation pour le prier de remercier le roi d’Espagne de son concours. Bientôt une lettre de ce prince, écrite aux états, les pressa de consommer l’élection de sa fille sans aucun retard. « Il sera bien raisonnable, disait Philippe dans son étrange épître, que l’on me paie tout ce que j’ai mérité envers ledit royaume en me donnant satisfaction. » Mais, devant tant de désirs contradictoires et dans la contention des partis, la nomination d’Isabelle à la couronne de France rencontra des obstacles que Mayenne et les autres prétendans s’entendirent d’ailleurs pour fortifier. Les lourdes harangues du duc de Feria sur l’abolition de la loi salique, les pédantesques démonstra-