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LES ÉTATS DE LA LIGUE.

le comparant avec ce qui reste à faire. Autrement on serait vite induit à recomposer un livre, et, outre que ce ne serait pas précisément un rôle modeste et sûr, cela mènerait loin.

M. Rœderer, avec son esprit finement paradoxal, avait découvert dans nos anciens états-généraux les premiers fermens de la révolution française ; aujourd’hui les publicistes de la Gazette de France, modifiant la proposition, y voient les antécédens de la liberté, les garanties permanentes de la nation contre la monarchie. C’est un point de vue comme un autre, ce n’est pas un point de vue historique. La vérité est que ces assemblées, réunies seulement dans les crises publiques, étaient fort peu populaires, puisque, s’il éclatait quelquefois de vives, mais vaines protestations au début, on concédait toujours de nouveaux impôts au dénouement, et que c’était là en réalité le seul résultat définitif. Quant aux états de 1593, on sait dans quelles conditions particulières, dans quelles circonstances étranges ils furent convoqués.

Qui ne se souvient de cette lamentable histoire ? D’un côté, le Béarnais, avec l’aide des catholiques modérés et des huguenots, conquérant pied à pied son royaume par la bravoure au champ de bataille, par les ruses en diplomatie, et aussi, et surtout peut-être, par le tour français de son esprit, par l’art profond de la séduction ; d’autre part, la ligue qui, alors qu’elle prétend arborer le drapeau de l’unité religieuse et nationale, est cependant en proie à d’affreux déchiremens intérieurs, au réveil de la théocratie par son clergé démagogique, de l’anarchie municipale par les réorganisations révolutionnaires des communes, et du fédéralisme enfin par les prétentions rivales de ses gouverneurs provinciaux. Ce n’était pas là le seul malheur de l’Union ; ses chefs eux-mêmes ne s’entendaient pas dans leurs secrètes aspirations, dans leurs jalousies opposées. La couronne avait été déclarée vacante, et chacun y prétendait. Mayenne ne voyait là que la simple et naturelle continuation de son titre de lieutenant-général, tandis que son cousin, le marquis de Pont, se présentait comme chef de la maison de Lorraine, le duc de Savoie comme fils d’une fille de France, tandis que le jeune Guise revendiquait le trône au nom de son père, tandis enfin qu’à d’Aumale, à Nemours, à Mercœur, il fallait, sinon la royauté, au moins des apanages, c’est-à-dire le morcellement et le partage de la France. Chacun avait sa coterie, ses artisans, et derrière ces ambitions qui se pressaient, derrière cette cohue de prétendans, apparaissait la sombre figure de Philippe II, ce génie profond, patient, décidé à tout, et qui, selon l’inflexible et uniforme loi de sa politique, n’avait si dispendieusement aidé la ligue que pour la faire aboutir à l’agrandissement de ses états. Ses trames étaient dès long-temps ourdies ; un grand nombre d’acteurs influens avaient été séduits à prix d’or et à force de promesses ; on vit même bientôt les prédicateurs réclamer à grands cris l’abolition de la loi salique. C’est alors que le moment parut venu à ce prince, et que sa fille réclama ouvertement le sceptre. Elle faillit l’obtenir, et alors la France n’eût plus été qu’une province, le pape qu’un chapelain de la maison d’Autriche ; ainsi se fût renouvelé un empire à la manière de Charlemagne, ainsi eût