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FEU BRESSIER.

a le cœur gros et voudrait être partie pour laisser couler les pleurs qui l’étouffent. Elle a découvert que Louis est M. de Wierstein, et qu’il aime toujours Arolise. — Elle remonte en voiture. Louis lui donne la main avec sa bonne grace ordinaire, mais qui maintenant ne l’étonne plus. La voiture part au grand trot.

Louis retourne la lettre dans tous les sens : — Qu’écrit-elle à sa tante ? — Mais il pense qu’il n’y est pour rien, puisque la lettre était faite avant son arrivée et à un moment où Mélanie ne croyait même pas le voir. Il reprend son bateau et se dirige vers l’île, en rêvant à Arolise, car du Bois avait raison ; plus d’une fois Louis a regretté l’épreuve, plus d’une fois il s’est dit : — Arolise m’aimerait tel que je suis réellement, c’est-à-dire avec mon nom, avec ma figure, avec mon esprit. Ce que je veux sottement qu’elle aime, ce n’est pas plus moi que si je changeais mon visage, que si je supprimais ce que je puis avoir d’esprit. Pourquoi me suis-je avisé de me montrer sous un jour désavantageux pour plaire à une femme ? et moi-même, la position d’Arolise dans le monde, sa fortune, son éducation, tout cela n’est-il absolument pour rien dans l’amour qu’elle m’inspire ? J’ai fait une sottise ; elle aime le luxe et un beau nom ; au lieu de m’en irriter bêtement, n’aurais-je pas dû au contraire me trouver heureux de pouvoir lui offrir ce qu’elle aime ? N’ai-je pas agi comme un homme qui, apprenant que la femme qu’il aime préfère les cheveux blonds, irait immédiatement se les faire teindre en noir ? Mais, ajoutait-il tristement, je ne puis revenir sur ce que j’ai fait. Elle épousera du Bois, et je serai vengé. — Vengé ! belle vengeance ! quand je grince des dents à la seule pensée qu’elle sera à lui. Ah ! c’est elle qui sera vengée de moi et de mes folies !

Le paradoxe qu’avait trouvé Louis de Wierstein pour excuser Arolise était absurde, car le choix qu’avait fait Arolise de du Bois, qu’elle croyait M. de Wierstein, prouvait non pas qu’elle aimât Louis avec son nom et sa fortune, mais tout simplement qu’elle n’aimait que le nom et la fortune. Mais quel est l’homme d’esprit et de jugement qui, en pareille circonstance, n’ait quelquefois aussi mal raisonné ? Louis est triste, malheureux, perplexe ; par momens il a envie d’étrangler du Bois, il le déteste, il le trouve sot, fat, triomphant ; puis il voudrait, s’il en était encore temps, lui dire : — Va-t’en, je te donnerai une maison, je te donnerai ce que tu voudras ; j’aime Arolise : je suis bête, je suis fou, mais je l’aime et je ne veux pas la donner à un autre. — Mais il voit le sourire de du Bois, qui lui dirait : — Je le savais bien. — Et puis, comment expliquer ce qui s’est passé ?