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REVUE DES DEUX MONDES.

de chambre garda le louis, et, au lieu de donner la lettre à Mlle de Nérin, trouva mieux de la porter à la mère, laquelle la renvoya sous enveloppe à la mère de Louis.

Celle-ci parla à son fils, et, pensant que l’amour est la source des grandes et belles choses, elle n’osa pas tenter de le dessécher dans le cœur de son fils, tout en espérant qu’il serait facile de le faire changer d’objet quand il en serait temps. Louis, n’ayant aucune occasion de voir Mlle de Nérin, ne pourrait manquer d’adresser un jour à quelque autre les sentimens qu’il aurait amassés dans son cœur. Elle lui demanda ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour pour mériter l’amour de celle qu’il aimait. Elle lui fit honte de sa nullité, lui dit tout ce que la gloire a d’attraits pour les femmes, lui expliqua tout ce qu’il y aurait de beau à aimer en silence jusqu’à ce qu’il se fût rendu digne de l’objet de son amour.

Louis, naturellement exalté, adopta ces idées avec enthousiasme ; il consentit alors à se livrer aux travaux les plus fastidieux pour arriver à son but. Un an après, Mlle Arolise de Nérin se maria. Mme de Wierstein, alors, fut effrayée du jeu qu’elle avait joué, car Louis tomba dans une mélancolie profonde.

Ce rêve de son imagination, cet amour insensé pour une fille qu’il n’avait jamais vue que deux ou trois fois par la fenêtre, eut une grande influence sur toute sa vie. Il s’imagina que le monde entier était devenu son ennemi, surtout après qu’il eut perdu sa mère, dont la voix savait encore quelquefois adoucir son chagrin. Une observation de son père lui semblait un trait d’insupportable tyrannie. Enfin il quitta la maison, vécut au hasard, et n’y rentra que lorsque son père, tué en voyage par un accident de voiture, la lui laissa, comme à son seul héritier. — Petit héritage du reste ; mais un oncle, — un véritable oncle de roman, — avait un peu plus tard beaucoup mieux fait les choses.

XXVII.
SUITE DE LA LETTRE DE LOUIS DE WIERSTEIN.

« Elle était en grand deuil. Est-elle veuve ? ou bien le mouvement haineux que j’ai senti contre l’homme qui l’accompagne me disait-il que c’était son mari ? Tous trois entrèrent dans mon bateau, et je me mis en devoir de les passer dans l’île de Richard.