Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/246

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
REVUE DES DEUX MONDES.

Louis. — Écoutez, père Leleu, si ce n’est que ça, je me charge de votre bateau pour demain ; je passerai le monde, et je vous rendrai bon compte des recettes.

Leleu. — Si c’est pour tout de bon que vous me dites ça, maître Louis, ce sera un fameux service que vous me rendrez. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Je vous paierai votre journée.

Louis. — Nous en parlerons, père Leleu, mais soyez sûr que c’est pour tout de bon, et je serai chez vous demain à quatre heures.

Leleu. — Pourvu que vous arriviez à six heures, ce sera assez matin. Ah bien ! maître Louis, vous pouvez vous flatter que vous me tirez une épine du pied un peu longue.

Louis. — À demain, père Leleu.

Leleu. — À demain, maître Louis. Mais, pendant que je vous vois, maître Louis, dites-moi donc pourquoi on est quelquefois si long-temps sans vous rencontrer par ici ?

Louis. — Pourquoi on est si long-temps sans me rencontrer par ici ?… Ah ! voyez-vous, père Leleu, c’est que je demeure assez loin en aval de la rivière, et que je ne remonte par ici que lorsque le poisson manque tout-à-fait par chez nous.

Leleu. — C’est donc ça. À demain, maître Louis.

Louis. — À demain, père Leleu.

— Voici une étrange idée, me dit Dubois, comme nous nous en retournions. Est-ce que réellement tu comptes passer demain la journée à traverser en bateau tous les gens qui vont venir au cabaret de Richard ?

— Certainement, et j’espère m’amuser beaucoup.

— Tu recevras leur argent ?

— Avec empressement.

— Pour moi, j’ai affaire à la ville ; je reviendrai te voir dans un jour ou deux.

« Le lendemain, à cinq heures du matin, j’étais chez le père Leleu, qui me remercia encore cent fois, recommanda à sa femme de me faire de la soupe et de me la porter au bateau, comme elle faisait pour lui-même ; puis il partit pour la ville, et moi j’entrai en fonctions. Je te réponds que ce n’était pas une petite besogne. Je jouai du reste parfaitement mon rôle ; personne ne me soupçonna d’être un faux batelier. Je reçus les airs de hauteur des boutiquiers endimanchés avec la joie que doit ressentir un acteur des plus vifs applaudissemens. Je fus humble et patient. On me fit porter dans mes