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REVUE DES DEUX MONDES.

« Nous entrâmes dans la chaumière, mais tout y était fort sens dessus dessous. Un enfant d’une dizaine d’années était couché sur un lit ; une jeune femme, penchée sur lui, semblait surveiller sa respiration ; deux autres enfans tout petits se haussaient sur la pointe des pieds, pour voir leur frère sur le lit trop élevé.

— Pardon, ma bonne femme, dit ma tante ; je vois que vous avez un enfant malade et qu’il ne faut pas vous déranger. Je voulais vous demander un peu de lait.

— Je vais vous en donner, madame, répondit la paysanne. Il va bien ce pauvre petit, il dort maintenant, il repose tout doucement. Je le regardais pour bien me persuader qu’il est là et qu’il est vivant.

« Elle le baisa doucement sur le front et prit deux tasses bien blanches sur une sorte de dressoir, alla chercher du lait et nous l’apporta.

— Il y a une heure, dit-elle, je n’aurais pas pu vous en donner. Vous auriez vu moi et les deux petits que voilà (elle désignait les deux tout petits enfans), nous étions à pleurer et à crier au bord de l’eau. Mon mari est en voyage, et celui que voilà (elle montrait le lit) était tombé dans la rivière en pêchant à la ligne. Le pauvre cher enfant s’était débattu en criant, et j’étais arrivée pour le voir disparaître dans un trou très profond. Ah ! madame, quelle chose cruelle à voir !

« Elle s’interrompit pour aller regarder et embrasser son enfant.

— Comme il dort bien ! dit-elle.

— Et comment a-t-il été sauvé ? demandai-je.

— Voilà, reprit la fermière : je criais, j’appelais ; j’allais, je crois, me jeter après lui, quand un pêcheur qui remontait l’eau poussa son bateau à la rive, me demanda où était tombé l’enfant et se jeta à l’eau. Il plongea et fut quelques instans sans reparaître, puis je vis l’eau s’agiter, et le pêcheur revint : il ne rapportait pas l’enfant. Je tombai par terre écrasée par le chagrin, et en disant : — Il est perdu ! il est perdu ! — Mais le pêcheur ne fit que reprendre un peu d’haleine, puis il disparut encore une fois sous l’eau. Cette fois, madame, il rapportait mon enfant, mais inanimé ! — Oh ! mon Dieu ! il est mort ! m’écriai-je, et je le couvrais de larmes et je l’embrassais.

— Non, me dit le pêcheur ; entrons chez vous. — Là il me le fit déshabiller et envelopper dans de la laine. Le pauvre petit respirait encore, et ne tarda pas à sourire et à parler. — Mettez-lui encore une couverture, me dit le pêcheur. — J’allai la chercher. Quand je revins, je ne le trouvai plus, son bateau était déjà bien loin. Je n’avais