Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/220

Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
REVUE DES DEUX MONDES.

— Pourquoi cela ? me demanda-t-elle.

— Parce que, dis-je, je suis sûre que le batelier est un honnête homme.

— Je le crois comme toi, me dit-elle, je n’ai jamais vu plus de fierté que dans le regard qu’il a levé un moment sur M. de Lieben ; mais chaque vertu a ses bornes, et mon bracelet vaut cent louis, et il n’a peut-être de probité que jusqu’à concurrence de cinq cents francs. Nous retournerons demain.

« Demain est aujourd’hui, et nous partons dans une heure.

« Mélanie. »
XX.
MÉLANIE À CAROLINE.

« Tu me demandes des nouvelles du bracelet de ma tante d’un petit air tout-à-fait ironique, ma chère ; je suis réellement fâchée de t’avoir laissée onze grands jours dans cette touchante inquiétude.

« Il faut que je t’explique d’abord le timbre que portera ma lettre : nous sommes installées à la campagne, dans cette maison que nous allions voir le jour que le bracelet a été perdu ; contrairement à ce que je pensais, nous recevons peu de visites ; M. de Lieben nous entoure seul, plus que jamais mon prétendu, et plus que jamais amoureux de ma tante.

« Revenons à l’histoire du bracelet.

« Ainsi que ma tante l’avait annoncé, nous partîmes le matin à la recherche du bijou, et en même temps pour voir la maison, car la vieille n’était pas revenue l’autre jour quand nous étions parties ; cette fois, nous étions seules avec un domestique.

« Arrivées au bord de la rivière, ma tante était extrêmement agitée de l’espoir de retrouver son bracelet, et de la crainte de ne le point retrouver. Pour moi, je ressentis à ce moment un cruel embarras, il fallait appeler le batelier; je me souvenais bien de son nom qu’il nous avait dit, mais l’air de ce garçon, que je me rappelais au moins autant que son nom, faisait que je n’osais pas le nommer Louis. Avec un autre, cette espèce de tutoiement de la part d’une femme n’a pas d’inconvénient, mais avec lui, cela me semblait embarrassant.

« On a dit que, pour une femme distinguée, un jardinier et un domestique ne sont pas des hommes, mais simplement un jardinier et un domestique, comme d’autres choses sont un arbre et un fau-