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ment est une invention ingénieuse qui n’a pour but que de donner de la vraisemblance au mensonge.

Peut-être quelques lecteurs me chicaneront-ils sur le rôle que je fais jouer à l’ame.

Hélas ! les savans ont fait sur ce sujet bien pis que moi, et ce n’est pas pour rien que Cicéron disait : « Il n’y a pas d’opinion si ridicule qu’il ne se soit trouvé un philosophe pour la soutenir. »

Les savans sont des hommes qui, dans leurs plus grands succès, n’arrivent qu’à s’embourber un peu plus loin que les autres.

Les sciences, dit Montaigne, finissent toujours en éblouissemens. Les yeux de l’esprit, en effet, se fatiguent comme ceux du corps, quand ils veulent voir au-delà d’une certaine portée. Il danse devant les yeux du corps une multitude de petites paillettes d’argent ; il sautille devant les yeux de l’esprit des myriades de saugrenuités.

Qu’est-ce que les sages, les philosophes et les savans ont dit sur l’ame ? Buffon prétend qu’elle est un amas de molécules organiques vivantes, Épicure la compose d’atômes indivisibles, Platon de monades, Aristote prétend que c’est une enteléchie, Descartes des esprits animaux, Borelli des esprits sulfureux, Magow des esprits nitreux, Villis des esprits de la nature de la lumière, etc., sans compter ceux qui disent que nous n’en avons pas.

Ils ne sont pas plus d’accord sur sa demeure et sur ses habitudes. Aristote la met dans le cœur, Platon dans le diaphragme, Hippocrate dans le cerveau, Descartes dans une glande, Van Helmont dans l’orifice supérieur de l’estomac, d’autres ailleurs.

Quelques philosophes anciens la composent de trois facultés. Descartes veut qu’elle soit formée de six passions. Il est possible que je me trompe à mon tour comme tous ces honnêtes savans et philosophes, mais je dirai, comme ils ont dit en leur temps, que ceux qui ne pensent pas comme moi ont tort, que ceux qui ont une opinion contraire à la mienne sont dans une erreur grossière.

Tout le monde sait aujourd’hui que notre ame est une molécule du grand foyer de chaleur, de vie et d’intelligence que les hommes appellent soleil. Tout le monde sait qu’à la mort de l’homme son ame devient ce que devient la flamme de la bougie qui s’éteint ; elle remonte au soleil, où elle se confond et se perd plus complètement qu’une goutte de pluie dans la mer. Marc-Aurèle avait pressenti cela quand il disait : « Notre ame est un dieu exilé ; » et Platon s’en doutait un peu lorsqu’il prétendait que les ailes de l’ame se développent par la mort.