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REVUE DES DEUX MONDES.

VII.

Après tous les circuits que nous avons dû faire pour explorer la plus vaste des questions sociales, revenons à la pensée qui a marqué notre point de départ, afin d’embrasser dans un dernier coup d’œil l’ensemble du sujet.

Formée à une époque où le premier besoin de chaque peuple était de développer ses ressources, la science économique avait à rechercher par quels moyens peut être augmentée la richesse collective des nations. Après de nombreux tâtonnemens, elle parvint à discerner les phénomènes qui accompagnent la production et la consommation des biens, et à démontrer théoriquement un certain nombre de lois. Quelques pays ont exagéré dans la pratique les axiomes de la théorie : il en est résulté pour eux un rapide et merveilleux accroissement de la fortune générale, et en même temps une affreuse misère dans les rangs inférieurs de la nation. On reconnut que la spéculation livrée sans contrôle à ses instincts égoïstes est un fléau pour la majorité des classes ouvrières. Sous l’impression de cette douloureuse expérience, une scission éclata parmi les économistes. Aujourd’hui le plus grand nombre annonce la prétention de former une école nouvelle, qui, déclarant que le secret de la création des valeurs est connu, se donne la mission de compléter la science en cherchant la loi de la distribution de la richesse acquise. Cette tendance est, selon nous, une aberration qui aura pour effet de déconsidérer l’économie politique, en lui attribuant une portée qu’elle n’a pas. Poursuivre une règle générale pour la répartition des bénéfices sociaux, une formule absolue qui équilibre les intérêts et les prétentions opposées, c’est chercher la pierre philosophale ou la médecine universelle. De même que l’art médical se compose d’un certain nombre d’observations que le docteur applique suivant la sûreté de son diagnostic, de même procède la médecine sociale à l’égard du corps politique. C’est donc méconnaître le caractère de la science que d’opposer à ce qu’on est convenu d’appeler l’école anglaise une école chrétienne, comme dit M. de Villeneuve-Bargemont, ou une école française, suivant l’appellation qu’un libéralisme mal entendu voudrait faire prévaloir. L’économie politique, à proprement parler, n’est ni anglaise ni française, pas plus que la géométrie ou la physique. Science d’observation et méthode rationnelle, elle fournit les moyens d’analyser les faits qui se rapportent à la production des biens matériels : ses axiomes ne sont que des instrumens dont chacun est libre de s’emparer pour s’en servir selon sa moralité ou ses sympathies, chrétiennement ou dans un intérêt égoïste.

Est-ce à dire que l’économie politique est impuissante pour la réforme des abus, que la détresse des classes laborieuses est un mal sans remède ? Nullement. Nous avons voulu seulement protester contre ceux qui demandent à la science ce qu’elle ne peut pas fournir, un principe absolu qui aurait pour effet