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dépend toujours d’une nation de se procurer des bénéfices ? Ne savons-nous pas que la richesse surabondante, lorsqu’elle ne trouve plus à réaliser des profits dans les ateliers nationaux, se transporte à l’étranger, en laissant inactive et affamée la population ouvrière ? Ces crises, pour M. d’Esterno, ne sont jamais que passagères, et il les envisage avec un stoïcisme merveilleux. « Il sait que les champs de bataille sont ordinairement jonchés de cadavres et de blessés. » Au surplus, son livre, qui annonce un esprit pratique et calculateur, se recommande par de bonnes pages sur les vaines pâtures, les déboisemens, les inconvéniens de la petite culture, et les ressources qu’une amélioration de notre régime communal pourrait fournir aux ouvriers ruraux.

V.

Achetée par une lutte de plusieurs siècles, célébrée par nos pères comme la plus importante de leurs conquêtes, la liberté de l’industrie a peut-être aujourd’hui plus d’adversaires que de partisans. Par une inconséquence digne de notre époque, ce sont surtout les démocrates qui se montrent le plus disposés à sacrifier l’indépendance du travail, sans songer qu’elle a été jusqu’à ce jour la base de l’indépendance politique du travailleur. Ceux qui se disent exclusivement les avocats du peuple prétendent avoir trouvé le secret de détruire ce qu’ils appellent la tyrannie du capital, et de soustraire l’ouvrier à la misère, en lui assurant un salaire toujours proportionné à ses besoins légitimes. Sans parler des formules communistes, nous connaissons plusieurs combinaisons qui ne sont que des variantes d’une idée fort répandue aujourd’hui, et cette idée, la voici : remplacer les capitalistes particuliers, en leur substituant pour chaque industrie un fonds social, impersonnel, inaliénable, de main-morte en un mot ; fonds extensible par l’accumulation d’une partie réservée des bénéfices, de manière à former des associations ouvertes à tous les ouvriers de même métier, et au sein desquelles la direction des travaux et l’équilibre des intérêts seraient réglés en vertu du principe électif. On voit qu’une telle réforme aboutirait à la plus complète, à la plus étonnante des révolutions sociales. Essayer d’en apprécier l’équité et les effets politiques, ce serait se lancer dans l’infini. Il s’agit ici seulement d’épuiser une thèse économique, de rechercher jusqu’à quel point est possible et désirable pour les ouvriers eux-mêmes la charte industrielle qu’on leur propose. Pour spécialiser nos critiques, nous les appliquerons au projet d’association universelle développé par M. Louis Blanc dans la seconde édition de son Organisation du Travail.

Suivant le hardi publiciste dont nous conservons autant que possible les expressions, le gouvernement lèverait un emprunt dont le produit serait affecté à la création d’ateliers sociaux dans les branches les plus importantes de l’industrie nationale. Les représentans du peuple discuteraient et voteraient les statuts de ces ateliers. Seraient appelés à y travailler jusqu’à con-