Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.
137
DU SORT DES CLASSES LABORIEUSES.

elles correspondent avec un bureau central établi à Londres, vaste administration qui, sous le titre modeste de commission des pauvres, a l’activité et l’importance des plus grands ministères. Pour que l’aumône cessât d’être un supplément de salaires, il a été posé en principe que les secours ne doivent être alloués aux individus valides qu’à la condition d’un travail quelconque. Or, à défaut d’un labeur pénible, rebutant et d’une rétribution inférieure à celle des dernières industries, la charité anglaise offre aux pauvres l’hospitalité des maisons de travail ou work-house. Qu’est-ce donc que le work-house ? Un vaste bâtiment qui tient de l’hôpital et de la prison[1], où l’on est soumis à une sévère discipline, où l’on porte l’uniforme de la misère, où l’ordinaire se compose de bouillie d’avoine, de légumes et d’eau, sauf deux rations de viande de porc par semaine ; où la séparation rigoureuse des sexes et des âges contrarie les affections de famille et les attractions naturelles ; où l’on est condamné à faire mouvoir des moulins à bras, à subir ce supplice de la meule que l’antiquité infligeait aux esclaves mutins !

Que les hommes d’état de la Grande-Bretagne se félicitent donc d’avoir circonscrit la plaie nationale et réduit de plus de 100 millions le budget de la misère ! Il n’est que trop vrai. À l’assistance qui lui est offerte aujourd’hui, l’ouvrier sans emploi préfère le dénuement absolu, avec ses angoisses et ses ignominies. « J’ai vu dans plusieurs work-houses, dit M. Buret en parlant de l’affreux moulin à bras, j’ai vu des machines de ce genre presque toutes en repos, parce qu’elles avaient mis en fuite les malheureux condamnés à les faire mouvoir, et j’ai la conviction que les plus affreuses extrémités, les dernières souffrances, sont préférables à une pareille charité. Aussi n’est-ce pas une charité que l’on a voulu instituer, mais un épouvantail des pauvres ! Dans les districts où la loi est appliquée rigoureusement, ses effets tiennent du miracle. À Cuckfield (Sussex), plusieurs centaines de pauvres se présentent à l’époque des neiges ; vingt seulement acceptent l’hospitalité du work-house, et, sur ce nombre, quinze l’ont quitté avant le 12 janvier. L’union de Lambourne, composée de dix-huit paroisses, dont quelques-unes assistaient plus de cent pauvres sous l’ancienne législation, n’a plus à sa charge en tout que vingt hommes valides dès que le nouveau système est mis en vigueur. Il est clair, d’après nombre d’exemples pareils, que, si beaucoup de bureaux ne faisaient pas fléchir le règlement en accordant encore des secours à domicile et sans conditions, le bill de 1834 aurait procuré, non pas seulement une économie de cent pour cent, mais une extinction à peu près complète de la taxe des pauvres.

À tout prendre, cette réforme si vantée est une révolution qui aggrave le

  1. Il y a maintenant en Angleterre plus de six cents work-houses. Le régime de ces maisons est très doux pour la misère qui résulte de l’âge et des infirmités. Il ne devient inhumain que pour les indigens valides, comme si les ouvriers étaient responsables de la suspension périodique des travaux !