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Or, en Angleterre, l’agriculture a un double titre à la protection des lois. En premier lieu, la terre supportant la plus lourde part des charges publiques, il ne serait pas juste que ses produits fussent livrés sans protection à la libre concurrence des produits étrangers, quand elle est elle-même frappée d’une taxe particulière. En second lieu, des intérêts considérables, en bras et en capitaux, ont été engagés dans l’exploitation de la terre, sur la foi et pour ainsi dire sur la parole de la loi. Des terres auxquelles Dieu n’avait pas donné la fécondité ont été fertilisées par les efforts de l’industrie humaine. Il est possible que cette exploitation forcée soit contraire aux règles de la nature ; mais il est certain qu’elle a été secondée, sinon créée, par les lois nationales. Si ces lois sont une erreur, ce n’est pas le cultivateur, c’est le législateur qui s’est trompé, et la société, représentée par le pouvoir, doit une sorte de tutelle à des intérêts qui ne seraient pas nés sans son concours. Ceci peut s’appliquer à l’industrie manufacturière aussi bien qu’à l’industrie agricole. Adam Smith disait : « Quand des manufactures particulières, par l’effet de prohibitions ou de l’imposition de droits élevés sur les produits étrangers qui pouvaient leur faire concurrence, ont pris un développement qui a nécessité l’emploi d’une quantité considérable de bras, l’humanité exige que la liberté du commerce ne soit rétablie que par de lentes gradations, et avec beaucoup de réserve et de circonspection. Si ces droits élevés étaient supprimés tout d’un coup, des produits étrangers de même nature et à plus bas prix pourraient inonder si rapidement les marchés de l’intérieur, que des milliers d’hommes se trouveraient subitement privés de tout moyen d’existence. » La liberté illimitée du commerce des céréales produirait les mêmes effets. Un rappel subit des lois protectrices de l’agriculture n’aurait d’autre résultat que de ruiner les intérêts immenses engagés dans l’exploitation de la terre, de réduire à la misère une partie de la population agricole, et, en le jetant sans pain et sans ouvrage sur les marchés des villes, de susciter une nouvelle et formidable concurrence à la population déjà surabondante des manufactures.

Sur ce point, il n’y a pas de différence d’opinion entre l’opposition proprement dite et le gouvernement. Lord John Russell et sir Robert Peel sont d’accord sur le principe général d’un droit protecteur, et ils ne diffèrent que sur le mode d’application de ce principe.

Nous avons dit pourquoi l’établissement d’un droit fixe nous semblait préférable au maintien d’un droit mobile. Quel était le but de sir Robert Peel ? De diminuer la rigueur des droits qui frappaient