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REVUE. — CHRONIQUE.

que nous avons porté sur Mme Pauline Garcia dans notre dernière Revue. Nos critiques, incommodes peut-être à l’oreille d’un mari, mais justes et ne dépassant jamais les bornes de la plus stricte modération, ont vivement ému M. Viardot, qui, dans une épître adressée au rédacteur du Siècle, a cru devoir en appeler au tribunal de la publicité. Peut-être pensera-t-on que M. Viardot était trop intéressé dans cette affaire pour pouvoir distinguer le plus ou moins de vérité de nos appréciations. Dans un procès où la voix de Mme Dorus-Gras serait mise en cause, M. Gras aurait mauvaise grace à prétendre donner son avis. Aussi, parfaitement rassurés sur les convenances de nos critiques qui, à défaut d’autre mérite, ont du moins celui d’avoir été écrites sous l’impression de tous les gens du monde qui fréquentent les Bouffes cet hiver, nous aurions volontiers laissé passer un peu de mauvaise humeur, qui s’explique de reste en pareilles circonstances, et, si nous revenons sur cette lettre de M. Viardot, accueillie avec un zèle tout édifiant par certains journaux quotidiens, c’est simplement pour relever un argument des plus singuliers qu’elle renferme. M. Viardot nous reproche amèrement de critiquer sa femme, que la Revue, dit-il, portait aux nues il y a trois ans. Et d’abord, que M. Viardot se remette en mémoire le nom dont fut signé l’article auquel il lui convient de faire allusion et les circonstances où il parut. La sœur de la Malibran, une virtuose de dix-sept ans, douée, publiait-on, de tous les instincts poétiques de sa race, Pauline Garcia, aborde le théâtre pour la première fois, et Mme Sand, amie passionnée de la jeune cantatrice, improvise à sa gloire future quelques pages pleines d’enthousiasme et de fantaisie. En bonne conscience, peut-on voir dans un pareil procédé autre chose que cet intérêt bien légitime qui s’attache au début de l’héritière d’un grand nom ? Le sang des Garcia ne demandait pas moins, et quand ce sentiment tout personnel, émis par Mme Sand, eût été à cette époque l’opinion de la Revue elle-même, oserait-on le lui reprocher aujourd’hui ? Et d’ailleurs, en trois ans une voix se transforme, elle gagne ou perd, grandit ou diminue, s’étend ou se décomplète. S’il est ici-bas une chose fragile, une chose fantasque, c’est la voix ; faut-il que nous l’apprenions à M. Viardot ? Au moindre vent qui passe, elle s’enroue, en deux jours la voilà défaite. Qui peut répondre que ce timbre sonore va résister six mois à l’épreuve du travail, surtout quand vous vous appliquez à l’exercer en dépit de toutes ses conditions naturelles. Si Shakspeare eût été le moins du monde maître de chapelle, il n’eût pas dit : capricieuse comme l’onde, mais comme la voix. — Fonder ses prévisions sur le gosier humain, autant vaudrait bâtir sur le sable ou dans les vapeurs de l’air ! Voyez M. Duprez ; comparez cet organe laborieux et pénible d’aujourd’hui avec l’émission robuste d’autrefois. De ce que vous aurez dit il y a trois ans que c’était là une voix magnifique et puissante, s’ensuivra-t-il qu’on vous conteste aujourd’hui le droit de remarquer le délabrement survenu ? Puisque Mme Pauline Viardot trouvait nos critiques injustes, elle avait un argument bien simple pour y répondre ; il s’agissait uniquement de prouver au public qu’elle était une