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existence calmée. Les peintures de la vie politique conviennent à l’âge de l’expérience. Si M. Scribe entre franchement dans une voie où il a déjà fait quelques pas et où tout lui fait un devoir de persévérer, il ne restera plus aucun prétexte au dédain systématique qu’on voudrait jeter sur ses efforts. Je conçois le dédain qui porte sur une œuvre, je ne comprends pas celui qui s’attache indistinctement à toutes les tentatives d’un esprit.

Un homme qui a reçu comme M. Scribe des dons qu’il est impossible de nier, et qui semble prendre plaisir à les perdre dans la plus aventureuse des existences littéraires, vient de donner ces jours-ci une comédie appelée Halifax, sur un des théâtres du boulevart. Peut-être M. Alexandre Dumas ne se souvient-il plus qu’on représente en ce moment une pièce de lui aux Variétés. Je ne sais point de théâtre à Paris, même parmi ceux qui sont perdus dans les quartiers populeux des écoles, où M. Alexandre Dumas craignît d’être joué. Peu lui importent les lieux où s’égarent les enfans de sa pensée. Il n’est pas de feuilles infimes, de journaux obscurs, où l’on ne trouve le nom dont Henri III avait fait un nom littéraire. Non-seulement M. Dumas écrit partout, mais, ce qui est chose plus mauvaise encore, il écrit tout ; ce qu’il a dit, ce qu’il a pensé, ce qu’il a mangé, et cela jour par jour, il ne nous cache rien. Il se raconte lui-même, comme M. de Dangeau a raconté Louis XIV. Rapprochées les unes des autres par cette indiscrète et continuelle publicité, ses pensées présentent de fâcheux contrastes. On n’a pas le droit de demander compte de son sourire à l’homme qui ne vous confie pas sa douleur ; on a le droit de s’étonner en voyant leste, pimpant, la plaisanterie sur les lèvres, celui qui la veille est venu mettre sous vos yeux les plus sanglantes plaies de son ame. Il y a un mois que M. Dumas faisait retentir de ses gémissemens les carrefours de la presse, et voici déjà plus d’une semaine que son nom est affiché à la porte des Variétés. J’insiste à regret sur ces idées, et cependant n’est-il pas utile de protester contre les blessantes et inopportunes révélations auxquelles nombre de ceux qui écrivent se laissent entraîner de ce temps-ci par leur intempérance de langage ? Hier on nous initiait aux secrets de la joie nuptiale, aujourd’hui on nous initie aux secrets d’une douleur d’ami ; hier on tirait les rideaux de l’alcôve, aujourd’hui l’on soulève un drap mortuaire. Où s’arrêtera cette profane, cette impudique exhibition de choses saintes et cachées ? Jetez pêle-mêle sur le papier, puisque vous ne voulez point vous donner la peine de les trier, tous les mots de notre langue ; mais choisissez les sentimens, sachez produire au jour ceux qui sont du domaine public et laissez dans le cœur ceux que la nature y a placés pour ne pas en sortir.

Si je m’étends sur M. Dumas, à propos d’Halifax, c’est que tout le mérite d’Halifax est d’être l’œuvre de M. Alexandre Dumas. Il y a quelques œuvres d’imagination qui ressemblent à certains fils de grands seigneurs : elles n’ont pour elles que leur origine ; c’est leur naissance qui les empêche de passer inaperçues. Halifax est de ce nombre ; si cette comédie eût été présentée par quelque obscur jeune homme demandant à faire ses premières