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REVUE. — CHRONIQUE.

dont le caractère et le jugement ont été formés pendant douze années pacifiques par des hommes aux passions apaisées, n’est plus cette jeunesse qui puisait, dans l’atmosphère ardente d’une révolution près de déchaîner ses foudres, les émotions qu’elle laissait éclater en entendant Hernani. L’auteur des Odes et Ballades va subir une solennelle épreuve. Faisons des vœux pour qu’il en sorte vainqueur. En attendant cet instant de profonde curiosité et de sincères espérances pour tous ceux qui aiment vraiment l’art, nous pouvons constater déjà quelques faits qu’il serait injuste ou fâcheux de passer sous silence. C’est d’abord la comédie nouvelle de M. Scribe, le Fils de Cromwell. Ainsi que l’indique le titre, la pièce de M. Scribe est une pièce politique. Il y a des gens qui, avant même d’examiner si l’auteur avait été maladroit ou habile dans l’exécution de son œuvre, ont déclaré la comédie politique une chose absurde. Nous croyons, nous, que c’est la véritable comédie de notre époque.

Sous Louis XIV, il y aurait eu certainement de belles satires dramatiques à faire avec l’insolence des secrétaires-d’état, les prodigalités des maîtresses, l’ambition scandaleuse des bâtards ; mais est-il besoin de dire que, pour des œuvres composées de pareils élémens, il ne pouvait pas y avoir de théâtre ? La comédie politique de ce règne se fit en secret dans les mémoires de Saint-Simon ; Molière s’attaqua sur la scène aux ridicules de la société. Au XVIIIe siècle, malgré les licences effrénées de la conversation, il fallait respecter encore l’autorité du lieutenant de police. Quelle peine Figaro n’eut-il pas à se produire ! La maison de Beaumarchais était à quelques pas de la Bastille. Pendant les sanglantes années de la révolution, le rire de la moquerie était aussi impossible que les autres ; il ne parut que sur les lèvres de Camille Desmoulins, et l’on sait comment ces lèvres se fermèrent. S’il avait existé sous l’empire un Molière, et que Bonaparte eût voulu, quelque jour de gala aux Tuileries ou à Trianon, le prendre à part comme le grand roi prit, dit-on, l’auteur des Fâcheux pour lui désigner dans la foule des originaux à peindre, certes il y aurait eu matière à une comédie des plus piquantes. Malheureusement il n’y avait pas de Molière sous l’empire, et Bonaparte ne pouvait pas agir comme le grand roi. La société sur laquelle il régnait était sa création, et une création trop fragile pour qu’il songeât à lui faire subir l’épreuve de la plus légère attaque ; toute comédie fut impossible sous l’empire. À présent voici ce qui me fait croire que la satire politique est appelée à régner sur la scène. En dehors des vices éternels dont la peinture n’appartient qu’à quelques génies privilégiés, et ne suffit même pas à ces génies, quels sujets la comédie abordera-t-elle ? Elle frondera le gouvernement et la société. Or, la société et le gouvernement de nos jours sont tellement confondus, qu’il est impossible d’en faire deux choses distinctes, dont l’une puisse être attaquée et l’autre respectée. Avec les doctrines constitutionnelles, tout le monde réclame sa part de royauté, comme tout le monde réclame sa part de divinité avec les doctrines du panthéisme. Quel est le public de théâtre où il n’y ait pas plus de deux cents personnes exerçant les droits souverains d’électeurs ? Dans quelle classe