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vous voudrez en Angleterre. » Et ils avaient la plus grande peine à comprendre que l’ambassadeur ne voulut pas user de cet expédient.

Cependant les mandarins faisaient publier dans la gazette de Pékin que l’ambassadeur anglais, porteur de tributs, pratiquait tous les jours la cérémonie du ko-tou avec la plus grande déférence, et, voyant qu’ils ne pouvaient vaincre la résistance de lord Amherst, ils eurent recours au plus singulier stratagème. L’ambassade s’était mise en marche pour Pékin ; mais, dès qu’elle fut arrivée sous les murs de la ville, on la fit arrêter dans les faubourgs, et lord Amherst fut prévenu, au milieu de la nuit, que l’empereur requérait immédiatement sa présence. Il paraît que les mandarins comptaient, au milieu de l’embarras de cette réception et à l’aide de la fatigue du voyage, lui faire exécuter le ko-tou malgré lui. L’ambassadeur refusa de sortir ; les mandarins le prirent amicalement par les épaules sans pouvoir réussir à l’entraîner, et ce fut alors qu’en désespoir de cause, ils rapportèrent un édit impérial ordonnant le départ immédiat de la mission anglaise. En vain lord Amherst allégua le besoin qu’il avait de repos ; il fallut qu’il remontât dans sa chaise, qui était assiégée par une foule d’indigènes ; un mandarin prit un grand fouet qu’il fit voltiger indistinctement sur tous les Chinois, grands et petits, et l’ambassade anglaise se remit en route avec la consolation de n’avoir vu que les murs de la capitale céleste. La gazette de Pékin rendit compte des faits à sa manière. Les termes dans lesquels elle raconte le départ de la mission anglaise ont quelque chose de burlesque : « J’avais, dit l’empereur, fixé ce jour pour recevoir l’ambassadeur du roi d’Angleterre ; mais, quand il arriva à la porte du palais intérieur, il fut tout à coup si incommodé, qu’il ne put ni marcher ni se remuer. Le second ambassadeur (sir George Staunton) fut incommodé de la même façon ; ils ne purent donc avoir le bonheur de recevoir la gracieuse faveur et les présens du céleste empereur… Alors j’ordonnai qu’ils retournassent immédiatement dans leur pays, car il me vint à l’idée qu’ils refusaient d’exécuter les cérémonies de la cour céleste. Quant à leur roi, qui les a envoyés de si loin à travers l’océan pour me porter une lettre et un tribut, il est indubitable que son intention était de me rendre hommage. Nous ne voulons point rejeter entièrement cette marque de respect, afin de ne pas manquer à la règle fondamentale du céleste empire, qui est d’accorder protection aux faibles. C’est pourquoi nous avons jugé convenable de choisir les plus insignifians témoignages de cette soumission, tels que quatre cartes, deux portraits et quatre-vingt-quinze gravures, que nous avons pris pour donner une marque de notre condescendance. Nous avons fait donner en présent pour ce roi quatre grandes et huit petites bourses de soie, conformément aux anciennes règles de cet empire, qui veulent qu’on donne de riches présens pour des choses de peu de valeur. Les ambassadeurs, en les recevant, ont été enchantés, et ont donné des signes évidens de surprise et d’admiration. »

Quand lord Amherst se rembarqua, le céleste empereur lui fit dire : « En vérité, vous avez eu du malheur ; vous êtes parvenus jusqu’aux portes du palais impérial, et vous n’avez pu lever les yeux sur la face du ciel. »