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que je n’oublierai de long-temps." Grace à cette soumission, l’envoyé russe obtint de laisser un agent de son souverain à Pékin ; mais cet agent fut traité comme un prisonnier de guerre, et bientôt après congédié avec une caravane de son pays.

Les Portugais et les Hollandais eurent généralement plus de succès à Pékin que les autres peuples de l’Europe. La faveur des Portugais doit être attribuée à ce qu’ils abordèrent les premiers dans les ports de la Chine, et surtout à l’influence qu’ils obtinrent à l’aide de leurs missionnaires. Il ne faut pas oublier non plus qu’ils aidèrent l’empereur de la Chine à réduire les pirates qui infestaient les côtes de son empire. L’établissement de Macao, qu’ils possèdent encore aujourd’hui, a cessé d’être dangereux pour la Chine à mesure que les Portugais ont cessé d’être un peuple sérieux.

Des causes en partie les mêmes procurèrent les mêmes faveurs aux Hollandais. Ils s’étaient faits les alliés des Tartares. Le fameux Caxinga, comme l’appellent les Portugais, ou Que-sing-kang, ainsi que le nomment les Chinois, était leur ennemi commun. Il avait été le plus formidable adversaire des Tartares lors de leur invasion, et avait pris Formose aux Hollandais. Les conquérans et les étrangers se réunirent contre lui, et telle fut la source des faveurs dont les Hollandais furent pendant un temps l’objet de la part du gouvernement tartare ; mais plus tard, en 1796, quand ils n’eurent plus les mêmes titres, leur envoyé fut congédié aussi cavalièrement que les autres.

En 1806, l’empereur de Russie envoya une nouvelle mission. Elle était composée de cinq cents personnes, mais à peine fut-elle parvenue à la grande muraille, que le céleste empereur lui fit dire qu’il n’en recevrait que soixante-dix. L’envoyé russe, le comte Goloffkin, après avoir traversé les déserts de la Sibérie, fut arrêté en vue de la terre promise, et, ayant refusé de se soumettre à la cérémonie du ko-tou, fut renvoyé sans plus de façons.

L’ambassadeur anglais lord Macartney, qui pénétra jusqu’à Pékin en 1792, recula devant le même cérémonial, ce qui n’empêcha pas, quinze ans plus tard, les Chinois d’assurer qu’il s’y était soumis et de réclamer la même condescendance de lord Amherst. L’ambassade de lord Amherst est celle qui présente les plus curieuses particularités, et M. Ellis, qui en faisait partie, en a fait une relation détaillée. L’envoyé anglais fut reçu par trois mandarins qui vinrent à sa rencontre, Quang, Chang et Yin. Deux d’entre eux vinrent le voir à bord, le troisième le reçut à son débarquement. Le 12 août 1816, l’ambassade arriva à Tien-sing, où un banquet lui fut offert le lendemain. Le premier objet qui frappa la vue de lord Amherst, quand il entra dans la salle du banquet, fut un écran en soie verte, devant lequel se tenaient les mandarins dans leur costume officiel. Il est nécessaire de savoir qu’un des agrémens caractéristiques du ko-tou est qu’il faut l’exécuter non-seulement devant le céleste empereur, mais encore devant l’écran qui représente sa céleste personne. Un des mandarins fit donc observer à lord Amherst que, comme le banquet était offert au nom de l’empereur, les convives auraient à remplir les mêmes cérémonies que celles qui se pratiquaient en son impériale pré-