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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

suicide. Malheur, du reste, au voyageur qui refuserait de leur prêter sa main pour les tuer ! il périrait lui-même sous les coups de leurs longs bâtons, qu’ils appellent des israélites, à moins qu’il n’ait la présence d’esprit d’un jeune homme de la ville de Madaure, qui rencontra un jour une de leurs bandes. Ces fanatiques avaient résolu depuis plusieurs jours d’être martyrs, et, selon leur usage, imité des gladiateurs, ils s’étaient, avant leur mort, livrés à tous les plaisirs de la vie, et surtout aux plaisirs de la table. Ils cherchaient donc avec impatience quelqu’un qui les voulût tuer. À l’aspect de ce jeune homme, ils coururent à lui avec de grands cris et lui présentèrent une épée nue, le menaçant de l’en percer s’il ne voulait pas les en percer eux-mêmes. « Mais, dit le jeune homme, qui me répond, quand j’aurai tué deux ou trois d’entre vous, que les autres ne changeront pas d’idée, et ne me tueront pas ? Il faut donc que vous vous laissiez lier. » Ils y consentirent, et, une fois bien liés, il les laissa sur le chemin et s’enfuit.

Les circoncellions représentent, dans le donatisme, les mœurs de l’Afrique barbare ; mais il y a dans le donatisme quelque chose qui caractérise l’Afrique en général : c’est l’esprit d’indépendance à l’égard des empereurs ; c’est la haine de l’unité, soit de l’unité temporelle de l’empire, soit de l’unité religieuse de l’église. L’Afrique semble avoir ceci de particulier dans sa destinée, qu’elle ne peut jamais former un empire à part, et qu’elle veut toujours cependant avoir une certaine indépendance dans l’empire dont elle fait partie. Les régences barbaresques exprimaient fort bien ce caractère de l’Afrique ; elles se rattachaient par quelques liens à l’empire ottoman, sans que ces liens altérassent l’indépendance qu’elles gardaient à l’égard de cet empire, et elles semblaient, si je puis parler ainsi, faire plutôt partie de la communion que de la nationalité ottomane. Alger, une fois consolidé par nos armes, voudra aussi, n’en doutons pas, avoir une administration indépendante de l’administration centrale. Les donatistes poussaient jusqu’à l’excès ce goût de l’indépendance et de l’isolement. Ils avaient la prétention de séparer l’église africaine de toutes les autres, comme la plus pure et la plus sainte ; ils rejetaient avec une sorte de colère nationale le joug de l’unité catholique comme un joug étranger, et ils voulaient de même émanciper l’église du pouvoir temporel des empereurs, surtout quand les empereurs n’étaient pas disposés en leur faveur, car les catholiques leur reprochaient vivement d’avoir adressé une requête à Julien l’apostat, et Julien l’apostat les avait favorisés. Il semble même, si