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de ses sermons, que vous dites souvent entre vous : Pourquoi personne ne donne-t-il rien à l’église d’Hippone ? Pourquoi les mourans ne la font-ils pas leur héritière ? Parce que l’évêque Augustin est trop bon, parce qu’il rend tout aux enfans, parce qu’il n’accepte rien. Je l’avoue, je n’accepte que les donations qui sont bonnes et pieuses… Quiconque déshérite son fils pour faire l’église son héritière, qu’il cherche quelqu’un qui veuille accepter ses dons ; ce n’est pas moi qui le ferai, et, grace à Dieu, je l’espère, ce ne sera personne… Oui, j’ai refusé beaucoup de donations, mais j’en ai aussi accepté beaucoup. Faut-il vous les énumérer ? Je ne citerai qu’un exemple : j’ai accepté l’héritage de Julien ; pourquoi ? parce qu’il est mort sans enfans[1]. »

Nous avons vu l’Afrique telle qu’elle était dans les villes, à Carthage surtout ; nous avons vu l’esprit de négoce des habitans, et comment parfois l’église s’était laissé gagner à cet esprit ; nous avons jeté un coup d’œil en passant sur les esclaves et les affranchis de la vieille société romaine et sur le sort nouveau que l’église leur faisait. C’est un coin important du tableau de la société ecclésiastique. Il nous reste à considérer de plus près cette société ecclésiastique telle qu’elle était en Afrique sous saint Augustin, ses dissensions, ses hérésies, ses dogmes de prédilection, et comment, dans ses hérésies et dans ses dogmes, perçait la nature de l’esprit africain, car au IVe et au Ve siècle c’est là surtout que je retrouve l’Afrique.

Je prendrai pour sujets des remarques que je veux faire, d’une part le donatisme, et de l’autre la doctrine de la grace, que saint Augustin défendit avec tant de force contre Pélage.

Sous Dioclétien, pendant la persécution, les chrétiens avaient été sommés de livrer leurs livres sacrés. Plusieurs évêques d’Afrique, cédant à la crainte, les avaient livrés ; d’autres s’y étaient refusés. Après la persécution, ceux qui avaient livré leurs livres aux magistrats furent appelés du nom de traditeurs[2]. Cela fit deux partis

  1. « Dicunt, aut quare nemo donat ecclesiæ hipponensi aliquid ? aut quare non eam faciunt qui moriuntur hæredem ? Quia episcopus Augustinus de bonitate sua donat totum, non suscipit… Plane suscipio, profiteor suscipere me oblationes bonas, oblationes sanctas… Quicumque vult, exhæredato filio, hæredem facere ecclesiam, quærat alterum qui suscipiat, non Augustinum ; imo, Deo propitio, neminem inveniat… Plurimas devotorum hominum oblationes nolo suscipere. Considerent autem quam multa susceperim. Quid opus est ea numerare ? Ecce unum dico ; Juliani hæreditatem suscepi. Quare ? quia sine filiis defunctus est. » (Sermon 355, t. V, pag. 2049.)
  2. Traditores, qui veut dire aussi traîtres.